Le génie de Molière
Une large distribution. Un cadre pittoresque. Un décor et des costumes magnifiques et surprenants. Nous vous préparons un spectacle moderne, enlevé, joyeux, plein de fantaisie et de tendresse!
Argan, le malade imaginaire, n’est-ce pas aussi le nom de la compagnie théâtrale de Daniel Hanssens? Un hasard? Sûrement pas!
Ce rôle hante l'acteur et metteur en scène depuis belle lurette. Combien de fois en a-t-il rêvé? Il a certainement dû en peaufiner les répliques en esprit, créer les décors en songe, fignoler en pensées gestes et mouvements des comédiens, concevoir mille et un gags. Le rideau des paupières est désormais levé, la réalité prend la place de l’imaginaire.
Daniel Hanssens doit se glisser dans la peau d’un bougon radin dont la vie est un cortège de clystères, saignées, potions et remèdes, un défilé de médecins et d’apothicaires, mais aussi assurer la mise en scène du spectacle. Le résultat ? Une farce généreuse et enlevée qui nous fait (re)découvrir l’esprit et les mots de Molière dans une comédie-ballet comme il en avait le secret. La diatribe de l’auteur contre la médecine et ses dérives reste bien présente dans le texte, mais se retrouve également habilement soulignée par la scénographie (comme cette immense chaise percée qui domine le plateau), les tenues et accessoires (dont ce broc à lavement assez particulier), la bande-son, la vidéo, les jeux de lumière, les ballets…
Tout en étant très respectueux du livret original, Daniel Hanssens et son équipe (Francesco Doleo à la scénographie, Perrine Hennen à la réalisation des costumes, Antoine Guillaume pour la chorégraphie finale, Laurent Kaye aux éclairages…) insufflent malice, tendresse et quelques touches innovantes pour faire de ce Malade imaginaire un cocktail vitaminé et pétillant.
Dans les rôles phares, Daniel Hanssens (un Argan tout en sensibilité exacerbée par son besoin d’être aimé et d’être le centre de l’attention de son entourage) et Marie-Hélène Remacle (pétulante Toinette) se révèlent très complices et recréent ainsi à merveille la familiarité entre un employeur et sa domestique.
À leurs côtés, Alice Moons (Angélique) et Julien de Visscher (Cléante) ont la fougue, la fragilité et l’émotivité des amoureux, tandis que Valérie Marchant offre à Béline l’épouse cupide et vénale une ampleur rarement atteinte.
Si Pierre Geranio en Fleurant l’apothicaire frustré déclenchera sa part de rires et que Jean-Paul Dermont compose un Monsieur Purgon harangueur et pinailleur à souhaits, la palme du burlesque reviendra au duo Michel Hinderyckx et Simon Wauters (Diafoirus père et fils) avec une mention toute particulière pour le jeu de mimiques de ce dernier. Alexandre von Sivers (Béralde) paraîtra en comparaison plus discret, mais n’est-ce pas là souvent le sort de la voix de la raison ?
À cette petite troupe bien rodée s’est jointe Maud Hanssens (la jeune Louison) qui pour son premier rôle important se révèle à la fois piquante et attendrissante (mais comme dit le proverbe Bon chien chasse de race).
Pas besoin de gants, de masques ou de pincettes, ce Malade imaginaire est pourtant contagieux. Vos zygomatiques et votre humour vont être soumis à un traitement hilarant qui ne vous sera pas appliqué à dose homéopathique. Loin d’être une purge, cette comédie fraîche, spontanée et délicieuse vous permettra d’évacuer sans douleur moult éclats de rire. Un spectacle hautement recommandé par la Faculté Bruxellons.
Muriel Hublet - Plaisir d'offrir - 24/7/2010
On se prend à rêver qu’on est à Avignon, non c’est la première de Bruxellons. Le Château du Karreveld a revêtu des habits de fête, des lampions de 14 juillet illuminent le cadre grandiose, le public attend avec bonheur dans la sérénité d’un pur soir d’été… cependant que s’élancent au- dessus de nos têtes, des vols de perruches en liesse.
Un trône majestueux grandeur géant annonce en grand la dictature familiale du grand malade, celle des puissants et surtout celle des médecins honnis par Molière. Mais aussi celle de la maladie et de la mort. Daniel Hanssens qui interprète Argan le plus bel hypocondriaque de tous les temps, règne avec noblesse sur ses proches presque tous prosternés. Pas de chandelles, pourtant il en faudrait des brassées pour le jeu magnifique de la troupe Argan 42 qui nous ravit ce soir. Argan? Ce nom nous dit quelque chose,… le personnage favori de Molière et de l’illustre Daniel. Les éclairages sont magnifiques et la scène d’ouverture où se réveille notre personnage est exquise de mise en scène, au bord de la féerie. On ne vous en dira rien de plus pour laisser le charme agir et vous promener à travers les multiples trouvailles scéniques de cette production.
L’acoustique est excellente… les voix grandissent sur fond de murailles patinées, les costumes rivalisent de fantaisie, les rires fusent, le verbe s’amuse. Les gestes et accessoires anachroniques virevoltent se moquant des uns et des autres laissant la partie libre aux mélanges de musiques et tintamarres de tout poil. Les tirades résonnent et rappellent avec bonheur nos souvenirs scolaires enfouis par le temps. Et les correspondances éveillent en nous des battements de cœur selon l’histoire de chacun. Il s’agit donc d’une certaine magie…
Toinette exquise et déterminée, Marie-Hélène Remacle est d’une vivacité débordante, elle se joue avec virtuosité de son bougon de maître tout occupé que de lui-même, lui servant certaines leçons avec finesse et humour. Valérie Marchant, plus vile et monstrueuse que Cruella élève l’amour de l’argent à l’idolâtrie et nous donne une image de sorcière de Saint Trop tout à fait réussie. Quant à Angélique, elle est si tendre, si aimable, si aimante dans sa robe tilleul de chez Courrèges, plantée sur les planches du même camaïeu vert. De tous ses cheveux, elle fait face à la vie et à son père adoré, à chaque instant, épouvantée, elle tape du pied et éparpille ses moues boudeuses comme Alice au pays des merveilles. Et Louison, aussi farceuse que son père ! Les autres comédiens, tous plus artistes, polichinelles, facétieux, les uns que les autres nous gratifient de tranches de rire dorées sur tranche. Le public -tout public- bourdonne d’aise: ce Molière revisité nous offre sagesse, beauté de la langue, et rêves aboutis.
Deashelle - Arts et Lettres - 14/7/2010