Un huis clos sur fond de collaboration et des dialogues en forme d’hommage à Audiard

Dans le Paris occupé, un bistrot voit passer occupants et occupés, des résistants aux collabos en passant par les gens simples qui tentent simplement de s’en sortir. La fin de la guerre approchant, la tension monte, les situations s’emballent et les masques tombent.


Le Chant des partisans est l’hymne de la Résistance française. Il date de l’occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale. C’est sur ce chant entonné magistralement bien par les comédiens de la compagnie que débute la pièce:

«Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines,
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne,
Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes… ».


La scène est répartie entre deux espaces distincts, le bar et la rue. Nous suivrons pendant près de 1h45 les péripéties du tenancier d’un bar parisien. Ce personnage malingre au bon fond est incarné par un Stéphane Stubbé toujours aussi dynamitant sur scène. Il donne avec Philippe Drecq, membre de la résistance, le tempo de la pièce. Ce bar est le lieu de toutes les rencontres. Il accueillera une fille de joie incarnée par Sophie D’Hondt, mais également d’autres membres de la résistance et bien entendu des soldats de la Gestapo. Les costumes et la qualité des décors apportent à nouveau un énorme plus à l’ambiance générale, et nous ne pouvons qu’acclamer la sympathique Isis Hauben pour le travail accompli.

L’écriture de la pièce révèle encore plus de profondeur scénaristique qu’à l’accoutumée. Si les spectacles du Magic sont toujours très aboutis, les enchaînements entre séquences sont parfois un peu confus et il arrive qu’on perde légèrement le fil conducteur de l’intrigue principale. En effet, l’absurde d’inspiration Monthy Pythonesque prend parfois le pas sur la trame. Pour ce polar humoristique de Patrick Chaboud, l’accent a davantage été mis sur la fluidité des scènes. Et les jeux de mots restent évidemment légion pour le plus grand bonheur des fans du Magic Land Théâtre.

Comme Xa, Bénédicte Phillipon joue plusieurs rôles dans cette pièce. Si on l’aime en rat des champs, son rôle de chienne des villes lui va à merveille. La bergère allemande qui sommeille en elle arrive à captiver le public et à faire rire toute la salle avec un simple battement de langue. Son accent allemand et ses grands yeux de labrador ont probablement fait craquer tous les chiens errants du quartier à n’en pas douter. Mais n’oublions pas non plus la superbe performance de Manon Hanseeuw, dont la voix résonnera dans la salle avec passion tous les soirs jusqu’à la fin des représentations.

Si cette pièce est une réussite et que je vous invite à sauter sur les quelques places encore disponibles, attardons-nous encore un peu sur les thèmes abordés.
Les thèmes des dangers de l’extrême-droite et de la délation sur le devant de la scène!

Si Chaboud n’a probablement pas créé cette pièce par anticipation du premier tour des élections en France, il ne faut pas être devin pour comprendre que nos sociétés démocratiques sont mises à mal par un climat anxiogène et délétère de plus en plus affirmé. Si cette pièce divertit avant tout, elle aborde également le thème important du danger des partis xénophobes et de la perte des libertés fondamentales.

Pourquoi est-il précisé ironiquement dans le pitch que l’on rend hommage à Audiard? Michel Audiard s’est inspiré de la façon dont le peuple parisien s’exprimait pour écrire ses dialogues qui constituent l’un des meilleurs témoignages de l’irrévérence détachée propre aux années 1960, selon Wikipédia. Les mêmes sources stipulent qu’ il écrit au printemps 1944 dans » l’Appel « , un des hebdomadaires parisiens les plus engagés dans la collaboration avec l’occupant allemand. Michel Audiard aurait réussi à faire oublier à la libération sa participation à ce journal malgré la teneur des articles. Pour moi, toute la subtilité de Chaboud et son premier coup de maître dans cette pièce réside ici. L’hommage est double: un pour l’accent et l’autre pour son passé de collabo.

L’Hôtel de la dernière chance traite ainsi du thème complexe de la collaboration avec l’ennemi et de la dénonciation, et ce principalement durant la Deuxième guerre mondiale. Sujet vieillot et dépassé? Lorsque l’on sait que les dénonciations de chômeurs et/ou de fraudes fiscales par des particuliers n’ont jamais été aussi importantes que depuis quelques années. Que la plupart du temps, ces dénonciations sont le fait d’amis, de la famille et/ou de voisins. Que les services publics vont même jusqu’à valoriser à demi-mot l’action de dénoncer le fraudeur, quel qu’il soit. Que des franges de population entière sont parfois pointées du doigt comme les représentants du mal ou comme étant des terroristes sans distinction autre que le délit de faciès ou l’appartenance religieuse. Que les services de traitement des plaintes sont submergés par des plaintes basées uniquement sur des critères peu objectifs. On peut affirmer que, même si des allusions directes à notre société contemporaine ne sont pas incluses dans le récit, la création de cette pièce n’est pas anodine. Elle témoigne d’une connaissance des enjeux sociétaux actuels et d’une volonté de remémorer les erreurs du passé aux générations plus jeunes. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, ça l’est dans les faits. C’est bien souvent en se plongeant dans l’Histoire que l’on trouve les solutions et les erreurs à éviter dans le présent…

Mon analyse pourrait être plus poussée mais le but n’est pas d’intellectualiser outre mesure cette critique de la pièce. Gardons à l’esprit que L’Hôtel de la dernière chance reste avant tout un divertissement sans prise de tête et que le rire est garanti à partir du moment où vous arrivez devant la porte du Magic Land Théâtre.

Culture remains - 3 mai 2017

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