Une délicieuse farce sur notre plat pays avec une autodérison féroce!
Dimitri Verhulst, auteur de la mémorable Merditude des choses, réussit un nouveau coup d’éclat ! Dans cette fable sans concession, il pose un regard tendrement corrosif sur la Belgique, et férocement drôle sur nos comportements égoïstes. Faut-il donc l’arrivée d’un Dieu pour rendre le monde vraiment meilleur?
Un flot d’images et de personnages délirants interprétés avec brio par Eric De Staercke. Un spectacle drôle et percutant.
L’Entrée du Christ à Bruxelles, vous connaissez ? Oui, la célèbre toile d’Ensor, bien sûr. Cortège carnavalesque où le Christ, minuscule silhouette à califourchon sur son âne, est perdu dans la foule des masques grimaçants qui semblent l’ignorer. Mais connaissez-vous le roman éponyme de l’écrivain flamand Dimitri Verhulst publié en 2011 sous le titre De Intrede van Christus in Brussel (traduit en français chez Denoël) ? Pour rappel… ce natif d’Alost nous avait déjà réjouis avec La merditude des choses (De helaasheid der dingen), récit autobiographique d’une enfance chamboulée, également porté à l’écran.
Georges Lini a eu l’excellente idée d’adapter à la scène ce formidable texte qu’Ensor aurait été ravi d’avoir suscité. Quelques coupes par-ci par-là, mais pas d’ajout ni de transformation : l’écriture de l’auteur est là, bien vivante, avec son énergie et son humour noir. Un seul comédien sur le plateau de l’Atelier 210, Eric De Staercke, le narrateur qui commente pour nous cette incroyable nouvelle : " le Christ va incessamment venir à Bruxelles ". Que le Christ ait choisi de se poser dans notre capitale, et de plus, un 21 juillet, voilà qui ne peut que réjouir la population, mais qui n’en pose pas moins de délicats problèmes logistiques. Quel sera l’itinéraire du visiteur ? Qui l’accueillera ? En quel lieu ? Et quelle langue choisir? Ce ne peut être que l’araméen, pardi ! Et c’est au centre 127 bis qu’on dénichera la petite Ohanna, sélectionnée par le Ministère de l’Intérieur pour accompagner le Christ durant son séjour en ce bas monde. Mais attention ! Un faux pas et ce sera le retour forcé au pays …
Au fil de 14 stations, Dimitri Verhulst pose un regard férocement drôle sur la Belgique et ses dysfonctionnements : la complexité absurde de nos institutions, le pouvoir de l’Eglise (le livre a été écrit à l’époque des scandales de pédophilie au sein du clergé belge), avec au passage des coups de griffe au nationalisme flamand (auquel il a lui-même tourné le dos en allant habiter en Wallonie) ou à la famille royale. Mais il va plus loin encore : ce sont nos comportements égoïstes qu’il fustige, nos replis identitaires, notre rejet de l’autre (avec humour, toujours). Et au final, cette question : faut-il attendre la venue d’un dieu pour rendre le monde meilleur ?
On est heureux de retrouver Eric De Staercke seul sur les planches, ce qui ne lui était plus arrivé depuis quelques saisons. Ce texte lui va à merveille : il peut y exercer son talent d’humoriste pince-sans-rire, et parcourir, de sa généreuse présence, les stations de ce corrosif chemin de croix. Le metteur en scène Georges Lini joue de toutes les qualités de son acteur pour nous offrir un spectacle drôle et percutant, accompagné pour (presque) seule scénographie, d’images vidéo bien choisies qui font puissamment résonner le comique des situations.
Vous ne connaissez pas Dimitri Verhulst ? Précipitez-vous à l’Atelier 210, il y a là une belle occasion de le rencontrer. Et si vous avez lu le roman, vous aurez le plaisir de le redécouvrir, mis en lumière avec intelligence et talent.
Dominique Mussche - RTBF