Une délicieuse farce sur notre plat pays avec une autodérison féroce!

Dimitri Verhulst, auteur de la mémorable Merditude des choses, réussit un nouveau coup d’éclat ! Dans cette fable sans concession, il pose un regard tendrement corrosif sur la Belgique, et férocement drôle sur nos comportements égoïstes. Faut-il donc l’arrivée d’un Dieu pour rendre le monde vraiment meilleur?
Un flot d’images et de personnages délirants interprétés avec brio par Eric De Staercke. Un spectacle drôle et percutant.


Et si, comme l’espérent nombre de croyants, le Christ revenait.  Et si, comme l’avait déjà imaginé Ensor, le Christ choisissait comme lieu de parousie Bruxelles, la capitale de l’Europe et de cette Belgique, qui malgré les coup de boutoir de « Belgïe barst » toujours plus fréquents, n’a toujours pas crevé.

La Belgique n’a toujours pas crevé […] Bien sûr que la Belgique allait un jour cesser d’exister pour être remplacée par quelque chose dont l’éternité serait tout aussi peu garantie.  Longue vie n’est donnée qu’aux éponges, et même elles doivent tôt ou tard dépérir.

En quatorze stations, Dimitri Verhulst explore ce que cette annonce de la venue du Christ à Bruxelles (qui plus est un 21 juillet, fête nationale belge) peut porter en elle d’espérance et de questionnement.  Car cette entrée, on s’en doute, nécessite toute une préparation.  Quelle sera l’itinéraire du Christ?  Qui l’acceuillera?  Que lui faire visiter de la ville?  Et, bien évidemment, dans une ville à la complexité institutionnelle pour le moins remarquable, toutes ces questions d’organisation prennent des dimensions inconnues autre part.  Occasion pour l’auteur, en mauvais flamand revendiqué, de nous réjouir d’envolées sur le nationalisme ambiant.

Chaque année, les partisans rabiques d’une Flandre indépendante – quatre autobus en tout -, accompagnés de deux curés et d’un tonneau d’encens, se rendaient dans les polders pour y prier dans la verte nature fleurant bon le purin, saisis par la conviction que le Créateur approuvait leur idée de séparatisme, et évoquer ensuite les ressentiments d’une minorité opprimée. Roulements de tambour et jeux d’étendards en prime.  Lorsqu’à une autre date de leur calendrier, la joie que leur procurait leur identité culturelle avait gonflé au point de devoir exploser en chansons, ils se rassemblaient au Palais des Sport d’Anvers et hurlaient en choeur « Sur la bruyère pourpre », « Je vois des petites loupîotes sur l’Escaut » et « Mieke, tiens-toi aux branches des arbres » de même que, bien entendu, des tubes profanes.

Et quand la question se pose de savoir qui pourra accueillir le Christ dans sa langue, l’araméen, suprême renversement d’une société qui le considère comme son pire danger, l’étranger (pire l’illégal, le sans-papier) devient le seul espoir d’une communication avec le Sauveur.  C’est ainsi Ohanna, onze ans, dénichée par les services des Affaires étrangères dans le centre 127 bis pour sans-papiers qui sera désignée pour accueillir le Christ, ses origines ainsi que ses dons naturels la prédisposant à comprendre l’araméen ancien.  Et dans les rêves d’Ohanna accompagnant le Fils de Dieu à la découverte du vrai Bruxelles non fantasmé, ce sont moins ces réalités qu’ils découvrent ahuris que les convictions extirpées de ces réalités par des imbéciles.

Et là ils découvrent la conviction qu’aucun de ces semeurs de gale n’a finalement besoin d’une aumône, nous sommes un pays doté de tout l’équipement social nécessaire, celui qui veut être aidé reçoit de l’aide ; en définitive, ces losers dorment dans la rue par ce que c’est là leur choix personnel.  Les bébés qui dans les bras d’une maman d’allure misérable font appel à la compassion de ceux qui mettent tout simplement leur progéniture à la crèche pendant leurs heures de travail sont en vérité de vrais bébés, mais loués à un service mafieux de prêt qui a compris qu’une escarcelle agitée par une main de mère sonne mieux.  Ils découvrent en passant les convictions que ces vagabonds sont déposés à leur poste de mendiant le matin en taxi, une Mercedes noire, et rembarqués le soir par ce même véhicule.  Ils font partie d’une firme bien organisée et extrêmement lucrative, le commerce de la misère, et en vérité, en tant que citoyen soumis à l’impôt, faut être fou pour suer encore la moindre goutte pour un employeur, quand on voit ce que l’on peut ramasser comme fortune en restant bêtement assis sur son cul dans un hall de gare.

Par delà un humour naviguant entre tendresse et corrosion, touchant au sarcasme, jamais au cynisme, Dimitri Verhulst interroge bien plus que la « belgitude » : l’identité, comme cette chose à laquelle, si nous n’y prenons garde, nous nous laissons appartenir!

Etre bruxellois et belge n’est pas un mérite, et pour être honnête je me suis toujours méfié des gens qui arborent leur nationalité comme un label de qualité […]  Je suis ce fou inoffensif qui rêve doucement d’un monde sans nationalités, sans drapeaux. […]  Si j’étais né au centre de la Papouasie, je vanterais le confort d’un étui pénien!.

Dimitri Verhulst, L’entrée du Christ à Bruxelles, 2013, Denoël, trad. Danielle Losman.

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