«Suis-je aimé(e) pour moi-même?»
Importante question, non?
C’est à cette question que veulent répondre les personnages du "Jeu de l’amour et du hasard": les amoureux, Dorante et Silvia, déguisés en domestiques, se font prendre à leur propre jeu. Le spectateur, complice des manipulations, assiste alors à tous les troubles possibles du cœur, du langage et de l’identité.
Le jeu…
Silvia doit épouser Dorante mais la jeune fille est inquiète à l'idée de se marier à un homme qu'elle ne connaît pas. Elle imagine alors un subterfuge : céder son identité à sa femme de chambre, Lisette, et revêtir de son côté le tablier de cette dernière. Sous son déguisement de soubrette, Silvia espère pouvoir observer à loisir son promis.
…le hasard…
Mais voilà que Dorante a eu la même idée. Il a troqué ses habits contre ceux de son valet, Arlequin. S'engage alors un jeu de masques sous les regards complices d'Orgon et de Mario (respectivement père et frère de Silvia). Conscients de la double supercherie, les deux hommes arbitrent le chassé-croisé entre maîtres et valets.
… et l'amour.
Dans cette pièce, on se courtise et on s'aime selon sa condition. Les maîtres, Dorante et Silvia marivaudent tout en finesse et retenue. En écho, les valets, Arlequin et Lisette nous offrent des scènes de séduction généreusement bouffonnes.
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J’ai envie de monter Marivaux pour travailler avec de jeunes comédiens. J’ai envie d’attaquer avec eux cette partition délicate et cruelle à la fois.
Les jeunes gens d’aujourd’hui valent bien ceux d’autrefois. Ils sont sans doute aussi peu préparés à la vie en couple, ils sont sans doute aussi maladroits et brusques, ils ont sans doute autant envie de savoir de quoi sera fait leur avenir. Et si pour ça, il fallait tricher un peu… c’est bien de ça dont il est question ici. Une histoire de masque, et le masque ne sert pas qu’au carnaval. Il peut aussi servir à tromper, voir duper. Est-ce que c’est pour une bonne cause que cela est plus tolérable ?
Fabrice Gardin - Metteur en scène
C’est à la suite de la banqueroute de Law en 1720 que Marivaux (1688-1763) est contraint de vivre de sa plume. Auteur déjà prolifique, journaliste, romancier, il embrasse alors plus largement la carrière
de dramaturge, écrivant principalement pour le Théâtre-Italien et ses acteurs, dont la fameuse Silvia. Malgré l’échec de sa tragédie Annibal en 1720, suit une dizaine de pièces pour la Comédie-Française, mais les acteurs italiens servent mieux d’après lui son théâtre dans lequel, comme le rapporte D’Alembert, «il faut que les acteurs ne paraissent jamais sentir la valeur de ce qu’ils disent». Le Jeu de l’amour et du hasard est créé en 1730 par la troupe italienne.
Un mécanisme extrêmement sophistiqué
Le Jeu de l’amour et du hasard est un véritable labyrinthe. L’intrigue entremêle la question de l’amour avec des rapports entre classes sociales. Aujourd’hui, cette notion de classe nous parle moins, car les différences sont nettement moins visibles qu’à l’époque de Marivaux. Je préfère alors parler de différences, d’écarts, voire d’abîmes. Nous vivons dans un monde où, en apparence, règne la démocratie.
Elle nous permet de nous exprimer tels que nous sommes, mais en même temps, ce qui nous sépare des autres devient plus difficile à cerner, à nommer. L’ennemi est devenu invisible ! Or dans son texte, Marivaux aborde la question d’une manière originale, qui n’est que faussement convenue. Au lieu de juger, il observe. Il s’applique à créer un mécanisme à travers lequel il est possible d’étudier la beauté et la monstruosité des rapports humains. Dans sa souveraine intelligence, il semble obsédé par la notion d’expérience. Que fait-il dans Le Jeu de l’amour et du hasard ? Deux couples échangent leurs rôles et ne le savent pas. On sait au bout de cinq minutes comment cela va se terminer, on sait qui va se marier avec qui. En apparence, la structure est très prévisible, sans surprises. Cependant,
tout en dessinant ce cadre, l’auteur y « plante » ses personnages et les laisse embrouiller tout seuls la situation. Il observe alors jusqu’où ils peuvent aller dans ces complications, et c’est là que surgit leur monstruosité. Ces petites figurines arrivent à s’emmêler à un point tel qu’elles finissent par nous surprendre et par nous toucher véritablement, à nous plonger dans ce paradoxe existentiel qui produit la joie et la souffrance, joie et souffrance qui sont interchangeables. Tout cela, il le place sur le terrain de l’intime. C’est sa spécialité. Mais il aurait aussi bien pu raconter tout cela à travers l’image d’une guerre civile ou d’une révolution, par exemple. (Galin Stoev)
Passer par le mensonge pour toucher à la vérité
Marivaux était un homme de théâtre par excellence… À chaque moment, il fait appel à des codes théâtraux. Bien sûr, Il parle de l’amour, il joue avec les sentiments, mais tout cela traduit une question essentielle de la pièce : comment peut-on devenir quelqu’un d’autre ? Comment peut-on se cacher derrière un masque ou un mensonge, et parvenir par là à un état de liberté ? En un sens, ce que dit Marivaux, c’est que pour toucher à la vérité, on passe inévitablement par le mensonge. Et cela, c’est le principe du théâtre. Marivaux fait sortir chacun de ses personnages de son cadre, disons, social, et
le place dans un autre cadre ; mais il y a ce moment du passage entre ces deux cadres, où ils se retrouvent dans un endroit complètement indéfini… Et c’est dans cet endroit que les jeunes amoureux se
découvrent. Au fond, ce que raconte Marivaux, c’est que la véritable rencontre ne peut se produire que dans cet endroit du passage. Il en souligne d’emblée l’aspect tragique : vivre ou s’installer dans un tel endroit est impossible. On est rapidement obligé d’abandonner le moment de la vraie rencontre, celui où l’on touche à la vérité de sa propre liberté, pour entrer dans le cadre suivant, et commencer à jouer un nouveau rôle.
Il y a quelque chose de très beau qui surgit du jeu des personnages lorsqu’ils éprouvent ce moment de liberté. Mais à la fin, nous comprenons que cela doit mourir, pour laisser la place à la normalité.
Au fond, c’est de l’alchimie pure, où les conditionnements – sociaux ou psychologiques – se transmutent en liberté, et inversement.