Musical (1996)


Musique: Andrew Lloyd Webber
Paroles: Jim Steinman
Livret: Gale Edwards • Patrica Knop

Le spectacle, qui a ouvert à l'Aldwych le 1er juillet 1998, a été remanié et réécrit: deux chansons ont été supprimées, trois ou quatre nouvelles ont été écrites. Le spectacle a été resserré et raccourci, l'intrigue délicate du deuxième acte a été renforcée, mais pas, comme il s'est avéré dans les critiques, suffisamment pour certaines personnes. Il restait une petite zone à problème, celle où Swallow est avec Amos à la gare routière, et que le train surgit – un effet fantastique, une menace qui tout à coup sort de l'obscurité, et qui avait fait partie de la production Washington – pour retrouver le paquet contenant le pistolet pour l'Homme. Comment l’émissaire non identifié a pu savoir où déposer ce paquet alors que l'Homme avait été en fuite de la prison pendant quarante-huit heures et ne pouvait pas avoir communiqué avec lui?

Mais ce développement de l'intrigue permettait d’amener Swallow dans l’obscurité avec Amos, amplifiant son dilemme affectivo-sexuel et faisant de lui, aux yeux de Candy – à qui le shérif avait ordonné de quitter la ville – un traître. En outre, l'atmosphère du deuxième acte devient de plus en plus hystérique au fur et à mesure que la chasse s’organise, que les charmeurs de serpents invoquent une lutte avec le diable, et que les enfants serrent les rangs face aux adultes. Le final du premier acte proposait déjà un double cri: des adultes qui frappent du pied avec face à eux en contrepoint, le fort et lyrique No Matter What, chanté par les enfants qui apportent des cadeaux à l’Homme dans la grange. C’est assurément l'un des morceaux signés Lloyd Webber parmi les plus envoûtants.

Musicalement, il n'y avait rien eu d’aussi audacieux sur les planches du West End depuis des années, et pourtant les cris de consternation de la critique – qui allaient du franchement désagréable à des commentaires au bord de l’insulte – étaient sans précédent dans les annales des mises à sac de Lloyd Webber par ces mêmes critiques. La publicité avait été discrète, mais à la minute où un spectacle Lloyd Webber apparaît à l'horizon, certains habitués semblent devoir expliquer à priori pourquoi ils haïssent son travail et ses spectacles.

Michael White, critique de musique classique du journal The Independent, a ressorti sa vieille rengaine à propos du Vérisme italien (mouvement artistique de réalisme dans l’opéra italien qui s’oppose en de nombreux points au romantisme) et a partagé avec les lecteurs ses premières réactions – en fait plutôt un aveu intuitif plutôt qu'analytique – alimentées par l'indignation «que seul un si petit talent a pu faire de cela quelque chose d’aussi grand».

Selon White, le compositeur Stephen Sondheim est une épine lancinante plantée dans les flancs de Lloyd Webber, car Sondheim est le compositeur à imiter et dont le travail peut être qualifié de parfait. Pour White, peut-être, mais pas pour la plupart des gens qui sont parfaitement capables de faire la distinction entre les deux types de génies représentés par chaque compositeur et de décider lequel des deux ils veulent aller voir au théâtre.

White estime que l’utilisation par Lloyd Webber de leitmotiv musicaux est peu rigoureuse et prétentieuse, et l'accuse de s'appuyer sur une réserve de deux ou trois morceaux qui reviennent jusqu’à provoquer la nausée. En fait, White est sorti pour un mouvement d’humeur sur le pont-levis de son château-fort de la respectabilité opératique et des bien-pensants autorisés. Il a le droit d’écrire sur Phantom et peut-être sur Sunset, mais il n'avait ni vu ou ni entendu Whistle (et par ailleurs, pour autant qu'on puisse en juger, aucune autre des comédies musicales), ce qui ne l’a pas empêché de lancer cette jérémiade bilieuse avant que le nouveau spectacle ait même ouvert.

Et en plus, on a eu droit aux bonnes vieilles mises en garde destinées aux cultureux : «La probabilité qu’une partition de Lloyd Webber parvienne jusqu’au Théâtre National ou à l’ENO est (heureusement) petite et en plus inutile: si Lloyd Webber a vraiment un grand talent, c’est la capacité de vendre ses produits, de commercialiser ses idées.»

Les critiques ont le droit d’envoyer des artistes au pilori, c’est une part importante de leur rôle, mais pourquoi le dénigrement devrait-il précéder la vision du spectacle? On est vraiment descendu jusque-là. Le succès, c’est ce qui énerve vraiment des snobs comme Michael White. Il y avait eu très peu de battage médiatique ou de publicité avant le lancement de Whistle.

Le spectacle a reçu plusieurs bonnes critiques, quelques-unes plus hostiles, et n'a jamais été décrit comme une sorte de blockbuster. Mais les gens voulaient aller le voir. Les salles étaient pleines et le spectacle semblait devoir être en résidence à l'Aldwych pendant plusieurs années.

Cinquante pour cent de la mise de fond initiale ont été récupérés à Londres après cinq mois de représentations et les billets ont été mis en vente jusqu’au nouveau millénaire. Personne n'avait prévu un succès au box-office avec ce spectacle, mais Lloyd Webber a été satisfait de ces bons résultats. Beaucoup de travail avait été effectué depuis l'ouverture de Washington, et Cameron Mackintosh a fait quelque chose de très similaire avec Martin Guerre : après 4 mois à Londres en 1996, il a arrêté le spectacle une semaine pour en sortir une nouvelle version qui s’est jouée jusqu’en février 1998, avant de relancer ici une toute nouvelle version au West Yorkshire Playhouse en Décembre 1998.

L’heure n’était plus aux blockbusters. Du moins temporairement. Quelles que soient les appréhensions que les critiques ont pu exprimer au sujet de Whistle ou de Martin Guerre, l'analyse de l’histoire de la production de ces deux spectacles a au moins démontré que tant Lloyd Webber que Mackintosh ont toujours fait ce en quoi ils croyaient, et ils l’ont fait avec tout leur cœur et de toutes leurs forces.


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