Elisabeth, impératrice d’Autriche (1837-1898) apparaît dans ce drame musical comme une femme en lutte pour obtenir sa propre liberté. Parce qu'elle est issue d’un monde dont le déclin est évident, la "modernité" d’Elisabeth la contraint à une isolation désespérée. Et pourtant, elle porte sur elle l’image obsolète du pouvoir des Habsbourg. Son assassinat par l'anarchiste italien Luigi Lucheni était en fait un crime symbolique qui a anticipé la fin d'une époque qui a duré mille ans....
30 Janvier 1889, 8h30, on vient de découvrir à Mayerling, village situé à quelques 40km au S-O de Vienne, le corps ensanglanté (une balle a emporté la partie supérieure du crâne) de l'archiduc Rodolphe, héritier du trône de l'Empire austo-hongrois.
La première version "officielle" de sa mort fut "défaillance cardiaque". Mais l'opinion publique avait du mal à croire à cette version de la mort d'un jeune prince de 30 ans… très vite les rumeurs au sujet d'une mort violente avaient circulé.
Le pavillon de chasse à Mayerling
Le 1er Février le gouvernement impérial faisait paraître la dépêche suivante :
"Son Altesse Impériale et Royale a été trouvée inanimée dans le lit, après que la porte eut été enfoncée. C'est sur cette impression qu'étaient fondés le rapport et l'hypothèse d'une attaque. Mais le Dr. Wiederhoher trouva après examen qu'il y avait une énorme blessure avec arrachement, sur une large surface, du cuir chevelu et des os du défunt, et que cette blessure devait avoir entraîné la mort immédiate. Cette blessure aurait été provoquée par un coup de fusil… La position de l'arme ne permet pas de douter que l'archiduc se soit donné lui-même la mort."
A ce moment il n'est pas encore question d'une autre mort, celle de la jeune baronne Marie Vetsera, retrouvée elle aussi morte, quasi nue, dans le même lit avec aussi une balle dans la tête… Mais l'histoire finira par s'ébruiter et on construira alors l'hypothèse (romantique) d'un double suicide par amour.
C'est cette version qui est actuellement communément admise par une majorité d'historiens. Elle fit d'ailleurs le sujet de plusieurs romans et films. Mais est-ce la seule ? Dès le début on parla aussi d'assassinat…
Qui était Rodolphe de Habsbourg ?
Né en 1858, il était le fils unique de l'Empereur d'Autriche-Hongrie, François-Joseph (1830-1916) et de son épouse l'Impératrice Elisabeth, dite Sissi (1837-1898).
L'enfance du prince n'est pas très heureuse, tiraillé entre sa grand-mère, l'impératrice-mère Sophie décidée à faire élever l'héritier du trône durement, "à l'ancienne", comme l'avait été François-Joseph, et sa mère, Sissi, aux idées très libérales. En tous cas, on lui exprime très peu d'amour. Il est brillant et intelligent mais sujet à des sautes d'humeur, peut-être dues à son ascendance Wittelsbach (comme sa mère et son oncle Louis II de Bavière.)
Dès l'adolescence il affiche des idées libérales qui se renforceront à l'âge adulte et qui inquiètent son père, le gouvernement, l'église et l'aristocratie autrichienne. François-Joseph est un autocrate qui n'imagine pas que l'on puisse libéraliser l'Empire qui, pour lui, est et doit rester immuable. Très vite il va se heurter à son héritier dont il redoute les idées et ne lui confie que des tâches de représentation sans vouloir l'associer aux affaires du gouvernement, ce dont celui-ci s'offusque.
La Prusse, voisine de l'Autriche, et dont la prépondérance s'est affirmée sur les Etats allemands, sous la conduite de Guillaume Ier, puis du jeune Guillaume II (depuis 1888) et du chancelier Bismark, s'inquiète aussi du libéralisme, qui pourrait être contagieux, du futur successeur de François-Joseph.
Rodolphe à 7 ans
Cependant, en 1881, Rodolphe avait épousé Stéphanie, fille du roi des Belges et sœur de Louise, femme de Philippe de Cobourg son ami intime devenu ainsi son beau-frère. Ce mariage, souhaité par François-Joseph afin de contrebalancer à l'ouest de l'Europe l'influence de la Prusse, fut accepté par Rodolphe qui avait conscience de ses devoirs envers l'Autriche.
Mais le jeune homme avait déjà au moins une maîtresse en titre, la danseuse Mizzi Caspar, laquelle était encore avec lui en janvier 89… Sophie n'était ni très intelligente ni artiste, mais d'humeur assez acariâtre, d'où de fréquentes disputes. Cependant Rodolphe, s'il n'est pas un époux fidèle, conservera toute sa vie une grande tendresse pour sa femme, comme ses lettres en témoignent.
Quant à Marie Vetsera, belle et frivole jeune fille d'à peine 18 ans, elle n'est présentée à Rodolphe qu'en novembre 1888 et "n'entre dans sa vie privée" probablement pas avant la mi-janvier 1889… S'il y a drame d'amour, comme la version couramment admise le laisse supposer, quelle rapidité de la rencontre à la mort !
Rodolphe et Stéphanie
Hypothèses" SUICIDE "
Rodolphe et Marie vivent un amour fou, impossible à officialiser car le prince impérial est marié (un divorce est impensable) et, d'autre part, Marie est de trop petite noblesse (récente) pour qu'une union soit envisageable avec l'héritier de l'Empire.
Dans les jours, semaines, mois et années qui suivront, on affirmera, en se basant sur l'interprétation de quelques écrits et de propos rapportés, que le prince avait des tendances suicidaires (toujours la "marque" Wittelsbach) et qu'il n'aurait pas envisagé alors d'autre solution que ce suicide en couple.
Marie Vetsera
Les lettres qu'il aurait écrites, expliquant son geste, quelque temps avant ou la nuit du drame ont malencontreusement disparu… On affirmera aussi, sans preuve :
1. Que Rodolphe avait appris une ancienne liaison de son père avec la mère de Marie et que cette dernière était sa demi-sœur, d'où leur décision de suicide devant ce présumé inceste …
2. Que Rodolphe avait comploté pour s'attribuer au moins le trône de Hongrie au détriment de son père avec lequel il avait de fréquents différents et que, se voyant découvert, il ne lui restait plus qu'à se suicider.
Aucun de ces arguments … et de bien d'autres (vie débauchée, alcool, drogue, maladie,…) n'est impossible, mais aucun non plus n'est certain! D'où le doute qui subsiste encore.
Hypothèses " ASSASSINAT "
2 théories principales :
1. les Services secrets français
2. les Services secrets allemands
La première provient essentiellement d'un entretien d'un journaliste avec l'ex-impératrice d'Autriche Zita, en 1983, qui affirmait que Rodolphe avait été contacté par ces Services afin de rompre l'axe austro-allemand et de bâtir un axe Vienne-Paris… donc de conspirer contre François-Joseph. Le prince ayant refusé, afin d'éviter que l'affaire s'ébruite, il aurait été exécuté.
Quand on connaît les sentiments très francophiles de l'archiduc on peut s'étonner que le Gouvernement français ait voulu supprimer un futur allié, mais, encore une fois, rien n'est impossible, surtout quand on sait les violents sentiments anti-monarchiques de Clémenceau …
Pour la seconde, les témoignages de l'entourage du prince à l'époque, bien que "muselés" par la police impériale, laissent planer une forte suspicion (traces de lutte, fenêtre brisée, etc…).
On connait son opposition à la politique impérialiste de Guillaume II et on a vu beaucoup d'allemands rôder autour de Mayerling avant le drame.
Pour des raisons politiques (risque évident de guerre avec l'Allemagne) le Gouvernement autrichien aurait préféré étouffer l'affaire…
Quelle que soit la vérité on peut se demander quel aurait été le destin de l'Autriche… et de l'Europe si Rodolphe avait règné avant la fin de ce XIXème siècle ou au tout début du Xxème ? Aurait-il pu libéraliser comme il le souhaitait le vieil Empire austro-hongrois dont la santé économique était bonne car il avait su, de ce côté-là, se moderniser? Une alliance austro-franco-anglaise aurait pu contrebalancer les visées expansionnistes de l'Allemagne (l'archiduc était l'ami du prince de Galles, futur Edouard VII) et le dramatique cours de l'Histoire, avec ses deux guerres mondiales, aurait peut-être été modifié …
François-Joseph n'ayant pas d'autre fils, l'héritier est son neveu François-Ferdinand (avec lequel il s'entend mal et qui s'est marié, contre la volonté impériale, avec une jeune fille de bonne noblesse mais pas de sang royal; donc les enfants du couple n'étant pas "dynastes" ne pourront pas régner !)
François-Ferdinand et son épouse seront assassinés à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) par un Serbe, le 28 Juin 1914. Ce qui, par le jeu des "alliances" entre pays déclenchera la Ière Guerre mondiale. L'héritier de l'Empire est alors le neveu de François-Ferdinand, Charles qui deviendra, en plein conflit, à la mort de son grand-oncle François-Joseph, le 22 Novembre 1916, l'Empereur Charles Ier. Malgré tous ses efforts pour sortir de la guerre, le jeune Empereur ne pourra y parvenir et, en novembre 1918, ce sera l'écroulement de l'Empire austro-hongrois, l'exil pour la famille impériale, démunie de tout, la relégation à Madère où Charles mourra en 1922. Son épouse, l'Impératrice Zita lui survivra jusqu'en 1989. Le couple avait de nombreux enfants et la dynastie des Habsbourg est toujours bien vivante.