55 minutes de théâtre que vous n'oublierez jamais

Le coup de cœur du Club de la Presse au Festival d'Avignon a été décerné à une pièce belge "Sans racines et sans ailes", parmi plus de 900 spectacles présentés


Si, par un invraisemblable hasard, vous ne connaissez pas encore Hamadi et Soufian El Boubsi, si vous n’êtes pas sorti chamboulé de Papa est en voyage, si vous n’avez pas ri et frémi à Dieu ?!, courez les découvrir dans Sans ailes et sans racines. Mohamed El Boubsi (Hamadi), le père, et Soufian, le fils, ont mêlé leurs écritures et leurs talents d’interprète et de metteur en scène pour clore ce triptyque sur l’immigration, l’identité, la religion, l’athéisme, l’Orient, l’Occident.

Leur duel non moucheté confronte un père et un fils dans leurs choix de vie inconciliables. Le premier, immigré à 7 ans, dans les bagages de ses parents, a intégré les notions de démocratie, de liberté, a choisi l’athéisme et le rejet du fanatisme. Son fils, né et grandi en Belgique, s’est tourné vers l’islam militant, dans un repli communautaire en quête de ses origines. La fracture est inéluctable. « Nous ne partageons que nos chaises, dira le père, pas nos gouffres… »

Qu’est ce qu’un fils ? Un continent inconnu. Quand l’un écoute les harangues de la mosquée, l’autre n’entend que vociférations et aboiements. Ce spectacle, jamais manichéen, juste un rien didactique, creuse de vrais enjeux d’aujourd’hui. A ce titre, il vaut déjà de l’or. Mais il est plus encore. Derrière le combat des idées, se profilent des êtres humains, blessés… à mort. Père et fils ont affronté l’humiliation, le délit de faciès, l’un s’est plié, a voulu (re)construire, l’autre a refusé « l’affligeante moyenne », la dissolution dans l’assimilation, avec les mêmes écartèlements, les mêmes mirages qui ne sont plus que ruines. Pour l’un et l’autre, c’est la filiation, la transmission d’une mémoire qui s’est brisée.

Un débat essentiel

Pour interpréter cette fiction, pour vivre cette langue d’une force cinglante mais aussi d’une beauté poétique orientale, Hamadi et Soufian n’ont besoin que de deux tabourets, blanc et noir, comme leurs vêtements. Les lumières de Xavier Lauwers les cernent d’ombres, les taillent en clairs-obscurs et révèlent leurs doutes, leurs douleurs. En cinquante minutes, la tension croît, l’émotion aussi, rythmées par les explosions vocales et les silences, les questions sans réponses, les plongées introspectives, les corps qui se relâchent, avant de s’arc-bouter, dans un face-à-face longtemps différé. Une très belle rencontre pour un débat essentiel.

Le Soir - 12/2/2009 - Michèle Friche

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