Un monument du théâtre anglais,
drôle mais surtout tendre

Shirley Valentine est un sommet d'humour.Mais c'est bien plus que cela, car ce spectacle parle de nous et nous donne un magnifique conseil: "Il n'est jamais trop tard pour réussir sa vie".


Tablier autour de la taille, Shirley nous accueille dans sa cuisine, en fin de journée. Comme chaque soir, elle prépare le repas de son homme. Et parle avec le mur. Elle parlerait bien avec son fils, sa fille ou son mari. Mais aucun n'est là. Les deux premiers ont grandi et ont quitté le nid familial. Quant au mari, il a oublié depuis longtemps les premières années joyeuses, la découverte de la maison de leur rêve, les séances de peinture agrémentées de fous rires...
Aujourd'hui, quand il rentre du boulot, c'est une bonniche plutôt qu'une épouse qu'il retrouve. Même s'il continue à affirmer qu'il l'aime. Alors Shirley parle avec le mur et s'enfile quelques verres de vin blanc. Pour tenir le coup, pour continuer à vivre tout en se demandant ce qui a bien pu se passer pour qu'elle en arrive là. Tant de rêves déçus, oubliés, à jamais irréalisables.
Mais aujourd'hui, tout en pelant les patates du dîner, Shirley recommence à rêver. Parce que sa meilleure amie vient de l'inviter à passer deux semaines en Grèce. Et sachant qu'elle trouverait des tas de "bonnes" raisons pour ne pas y aller, elle lui a fourré le billet d'avion dans les mains. Histoire de ne plus lui laisser le choix. Pourtant Shirley hésite. Parce qu'il y a les enfants. Parce qu'il y a son mari. Parce qu'ils ne comprendraient pas, n'accepteraient pas, ne s'en sortiraient pas sans elle... Mais peut-être aussi et surtout parce que ce saut dans l'inconnu lui fait peur...
Cette pièce de Willy Russel se joue depuis 1988 sur les scènes londoniennes sans jamais voir son succès diminuer. Dès 1988, elle était montée chez nous par Adrian Brine, dans une adaptation de Denyse Périez, jouée par Francine Blistin. En s'en emparant aujourd'hui, Martine Willequet (mise en scène) et Marie-Hélène Remacle (interprétation) démontrent qu'elle n'a rien perdu de sa justesse et de son actualité. Certes, quelques références sont un peu datées mais dans l'ensemble, c'est bien d'une histoire humaine éternellement répétée qu'il est question. Que faisons-nous de nos rêves d'enfance ? Qui devenons-nous au fil du temps qui passe ? Quel contrôle exerçons-nous sur notre propre existence ? Jusqu'à quel point les autres sont-ils responsables de nos échecs ? Et jusqu'à quel point pouvons-nous l'accepter au lieu de prendre les choses en main.
Mêlant constamment humour et émotion (Shirley Valentine est une solide mère de famille de Liverpool qui n'a pas sa langue en poche), le spectacle fait penser à un croisement entre Desperate housewives et les films de Ken Loach. Dans la mise en scène très sobre de Martine Willequet, et malgré quelques baisses de régime, Marie-Hélène Remacle donne à son personnage une énergie et une gouaille qui se fendillent régulièrement sous la pression de l'émotion.
Le texte de Willy Russel fait le reste avec ses expressions qui font mouche, son mélange de tendresse et de colère, de réalisme assumé et de revendication jamais bêtement revancharde. Si "Shirley Valentine" est une histoire de femme, c'est aussi et surtout une histoire humaine où chacun, homme ou femme, peut se retrouver, en espérant avoir le même courage que cette femme sans histoire décidant un jour de reprendre sa vie en main.

Jean-Marie Wynants - Le Soir - 5/8/2009

Retour à la page précédente