Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Avec plus d'acuité encore, Louis II perçoit les implications politiques de la situation en Germanie et si le roi se sent allemand, il veut avant tout demeurer bavarois et garantir l'indépendance du royaume.

Le 6 août, l'Alsace est reprise aux Français et le 2 septembre, victime de la supériorité stratégique de son adversaire, Napoléon III capitule tandis qu'à Paris est proclamée la république. Dans cette guerre aux forts accents patriotiques, les troupes bavaroises se sont gagné l'admiration des Prussiens et Louis II pour qui l'important est que le conflit s'achève rapidement semble être le seul à ne pas se réjouir du sort des armes.

La victoire de l'Allemagne est avant tout celle de la Prusse, si bien que le roi interdit de pavoiser aux couleurs des Hohenzollern, car seuls doivent flotter sur le palais les drapeaux bleus et blancs de Bavière et, si possible, pas de drapeau du tout. Cette tiédeur choque.

Après les combats vient la politique. La Bavière, farouchement indépendante, catholique et antiprussienne est le plus important des alliés de Berlin et son soutien dans le cadre d'un nouveau Reich avec le roi Guillaume à sa tête est une caution morale et politique qui paraît nécessaire à Bismarck. Or, quand l'émissaire prussien Delbrück tente de sonder les intentions de Louis II à ce propos, le roi en use comme il le faisait avec Wagner quand il refusait d'aborder un sujet et change de conversation.

Fin octobre, tous les princes allemands réunis à Versailles jettent les bases de la future Allemagne en l'absence notable du roi de Bavière, horrifié à l'idée de tant d'ostentation militaire dans l'écrin du Grand Siècle de Louis XIV. Son frère Othon, son oncle Luitpold et le premier ministre Bray représentent le pays. Tant bien que mal d'ailleurs, car le prince Othon présente des signes évidents de déséquilibre mental. Les événements s'annoncent cependant plutôt bien, car fin novembre, Bismarck qui voue une réelle estime à Louis II au point d'avoir en permanence son portrait sur son bureau cède aux demandes de la Bavière qui, au sein d'un éventuel empire allemand, conserverait une exceptionnelle autonomie avec nombre de droits d'un État pleinement souverain, le chancelier escomptant bien que Munich saura le moment venu se rappeler de soutenir le projet d'Empire.

Ironie du sort, Louis II afin de surveiller les négociations de Versailles y envoie son grand écuyer, le comte Holnstein qui à peine arrivé en France fait allégeance à Bismarck moyennant une généreuse commission. Le chancelier se voit dès lors confirmée l'imprévisibilité du roi ainsi que la nécessité d'emporter rapidement la décision. Un projet prend forme : il faut que Louis II, par une lettre solennelle, invite son oncle le roi de Prusse à accepter la couronne impériale tout en suggérant aux autres princes de se rallier à ce vœu. La manœuvre est habile, car si elle parachève l'unification de l'Allemagne en faveur de Berlin, elle permet au trône de Bavière de paraître comme la seule autorité digne de soumettre une telle proposition, ce qui ménage l'orgueil, la susceptibilité et le prestige de Louis II.

Pour plus de sûreté, Bismarck rédige lui-même sur un coin de table le brouillon des lettres en question et le 30 novembre 1870, Holnstein parvient à Hohenschwangau où le roi en proie à une violente rage de dent refuse de le recevoir. Arrivé à dix heures, le porteur des lettres doit patienter six heures avant d'être finalement introduit dans la sombre chambre royale embaumée de chloroforme. Cyniquement, Holnstein tend les brouillons en rappelant qu'il doit absolument être parti pour dix-huit heures muni de ce Kaiserbrief, cette lettre à l'empereur tant attendue à Versailles.

Sachant qu'en portant la nouvelle Allemagne sur les fonts baptismaux, il signe l'abdication officieuse des petits monarques germaniques, Louis tergiverse. Au terme d'une véritable scène de tragédie, le roi à bout de force recopie les précieux documents qui résonnent des accents les plus patriotiques.

Le 18 janvier 1871, le nouveau Reich allemand est solennellement proclamé dans la grande galerie des glaces du château de Versailles et Guillaume 1er devient empereur au cours d'une cérémonie à laquelle seul manque le roi de Bavière retenu par une nouvelle et opportune rage de dent.

Au début de l'été, les troupes victorieuses rentrent à Munich. La foule n'acclame pas son roi, mais bien le kronprinz de Prusse qui remet moult Croix de fer aux soldats bavarois. À son tour, Louis propose à son cousin Frédéric un grade de colonel dans un régiment de uhlans, ce à quoi le prince héritier répond qu'il doit tout d'abord en référer à son père le kaiser. Outrage ! Mis devant l'évidence qu'il ne peut même remettre à son gré des décorations dans son propre royaume, Louis II quitte l'assemblée et annule toutes ses obligations, regagnant son domaine de Berg alors que Munich honore le drapeau à l'aigle prussienne qui flotte sur la ville.

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