" Suzy Falk ?
Ce n'est pas du carton, c'est un géant ! "
Julos Beaucarne

Qui ne connaît pas l’actrice Suzy Falk?

Ce petit bout de femme tient le devant de la scène depuis la fin de la guerre et nous a émerveillé dans des dizaines de rôles… Elle vient de fêter ses soixante ans de scène. Elle a été un des piliers du Théâtre National à la grande époque de Jacques Huisman. Elle y a entre autre joué «Mère courage» de Bertold Brecht.

Mais le plus important, quand on a le plaisir de la connaître et de la fréquenter, c’est la femme Suzy Falk.


Avec sa frimousse de gamine un peu délurée et son côté vif-argent, Suzy n'était pas la dernière - au temps heureux de l'école - à amuser ses compagnes, ni à organiser pour elles les jeux les plus extravagants. Il lui en est resté quelque chose, un besoin impératif, semble-t-il, d'"égayer la galerie", de dérider son entourage. Est-elle dans un endroit quelconque, elle doit apostropher l'un, faire un trait d'esprit avec l'autre. Le style "bon chic-bon genre", très peu pour elle! Toujours a rechercher la répartie la plus drôle - et cela va vite! - à guetter tel comique de situation, au risque parfois d'aller trop loin.

Prompte à réagir, le visage étonnamment mobile, Suzy a un sens de l'humour qui ravit ses intimes. Essayez toujours de l'arrêter quand elle est sur sa lancée ou quand elle sent qu'elle tient son auditoire!

Le rire est capital. J'adore l'humour, désamorcer ce que les gens considèrent avec trop de sérieux. Il faut prendre du recul et tourner les choses en dérision. On est si peu de chose!

Au début de sa carrière, on découvre Suzy sur la scène de quelques théâtres qui n'ont d'autre prétention que celle de divertir. Et puis, il s'agit de gagner sa vie. C'est ainsi que, tout en défendant ailleurs Molière, Shakespeare et Giraudoux, elle se métamorphose en Louloute, une courtisane demi-mondaine, dans UNE POULE DANS UNE TIRELIRE, une farce bruxelloise de Léo De Smedt, ou en Dorothy, dans L'AMOUR TAXÉ, une opérette en deux actes de René Picolo, au Théâtre de la Bourse.

Dans le même genre, elle incarne une Américaine saoulographe dans BALALAÏKA (avec Jacques Jansen et Chris­tian Juin), à l'affiche de l'Alhambra, FIFI, au Théâtre de la Bourse, et une foule de rôles très variés dans les revues du Vaudeville - style Mme Simone Spaak, Sœur Sourire, Marguerite de Biesmaker! - revues qu'elle anime avec Victor Guyau et Marcel Roels, et beaucoup d'autres.

LA REVUE
Th de la Bourse 1953


C'est une jaunisse infectieuse qui fera passer Suzy, sans transition, des robes froufroutantes de Mary Poppins aux hardes crasseuses de MÈRE COURAGE!

ELYTH SPIRIT IN (N. Coward)
Th des Galeries 1953-1954
Avec Marcelle Dambremont, Marie Sabouret, Raymonde Sartène et Werner Degan

Dès le début des années 50, plusieurs journalistes avaient été frappés par la drôlerie et les trouvailles de Suzy pour corser ses personnages. Pour son rôle d'Edith dans ELYTH SPIRIT, à l'affiche du Théâtre des Galeries, ils écrivaient:
La jeune Suzy Falk nous réga1e d'une composition particuliè-rement comique en servante ahurie et craintive.Le Soir
La jeune Suzy Falk fait rire toute la salle par sa création de la bonne.Le Peuple
Suzy Falk, dans un rôle secondaire, force plus d'une fois le rire.La Libre Belgique

Entre 1955 et 1958, le Théâtre de Poche met à l'affiche une série de pièces comiques, mises en scène par Roland Ravez, dans lesquelles on retrouve la comédienne. Tout d'abord, trois Labiche, auteur par excellence de comédies de mœurs et de vaudevilles: UN CHAPEAU DE PAILLE D'Italie, ou elle incarne Hélène, SI JAMAIS JE TE PINCE, ou elle incarne Corinne, et LES DEUX TIMIDES, ou elle est Annette. A propos d'Annette:

Je devais entrer en scène avec un bouquet de fleurs fraîchement cueillies et les disposer dans un vase. Voila qu'un soir, en déposant les fleurs, tous les pétales tombent! Il ne restait que des tiges toutes droites. J'avais l'air malin. Inutile de dire que le délire a été général!

Il y a aussi L'AMOUR EN PAPIER, une comédie à couplets de Louis Ducreux, ou Suzy se métamorphose en Madame Isidore, en Madame Chapeau, en Pincé, en Gaby Kini; LES TAUREAUX, un opéra-bouffe d'Alexandre Arnoux, ou elle a le rôle de Belen et, parmi d'autres œuvres: LA CRUCHE CASSÉE de von Kleist, ou on la voit brandir une perruque, et QUOAT-QUOAT, de Jacques Audiberti, ou elle entre dans la peau d'une Mexicaine vol­canique.

Question humour, le Théâtre de l'Equipe n'est pas à la traÎne. Parmi d'autres pièces désopilantes, signalons deux Courteline, LA PEUR DES COUPS, ou l'on voit une épouse narguer son mari jusqu'à la gauche, et LES BOULINGRIN, ou Madame Boulingrin traite son mari de « voyou, de cocu, de gouape, de saleté, de peste» devant un certain Des Rillettes, dont elle vient de faire la connaissance! Fernand Piette monte aussi un Bernard Shaw à l'Equipe, L'ARGENT N'A PAS D'ODEUR, ou Suzy enfile le tablier d'une gentille petite bonne à l'œil espiègle.

ET A LA FIN ÉTAIT LE BANG René de OBALDIA
Cette comédie héroïque est montée au Théâtre du Parc par Jeroslav Dudek (saison 1969-70). Il y est question d'Oscar (André Ernotte), un jeune homme épris d'absolu, qui décide de tout abandonner pour s'installer au faîte d'une colonne et y dialoguer avec le Ciel. Très vite, on le transforme en objet de curiosité.

Mêlée à un groupe de touristes, une vieille demoiselle complètement hystérique (Suzy!) ne se contient plus. Riant nerveusement au passage d'une guêpe, elle pousse des cris affreux, inhumains, lorsque "le saint" ouvre la bouche: «Ah! Ah! Oh! Là là! Ma fleur!» Montrant le poing à Oscar «Il a volé ma fleur! Oh! Là là!» Au guide, qui essaie de la calmer «Bas les pattes! Bas les pattes! Ne me touchez pas!... Voleur! Volouille! Volatile!... Il a vovo, vovo, volé marna, marna… Ah!»

Occasion rêvée pour Suzy de donner libre cours à toute la cocasserie dont elle est capable et d'offrir à son public une gamme d'attitudes plus hilarantes les unes que les autres.

ET A LA FIN ÉTAIT LE BANG (R. de Obaldia)
Th Royal du Parc 1969-70


Ainsi, le rire atteint-il un sommet lorsque, après avoir jappé comme un chacal, la vieille folle arrache son dentier, le brandit à bout de bras, tournoie sur elle-même, en articulant de façon très distincte: «Qui veut mon dentier? Mon dentier? Qui veut mon dentier? Canines, molaires, incisives? Qui veut mon dentier?» Sur scène, la cacophonie est générale. On danse le French Cancan… On imagine aisément que, de son côté, le public ne reste pas de marbre!

Faire rire, c'est une technique. Il y a une manière de jouer la comédie pour obtenir le rire. On doit savoir ou marquer le temps pour que le mot ou la situation arrive jusque dans la salle, fasse "tilt" et revienne, apprendre à ne pas marcher sur les effets, les laisser passer sans les étaler.

Je n'aime pas trop ce genre de théâtre français où on joue face à la salle, les gros vaudevilles qui envoient le rire, paf! De superbes comédiens y excellent. Ça marche très fort mais moi je préfère un rire plus fin, plus léger. Il est évident que certains comédiens de boulevard ont une technique éblouissante. Mais avec les vrais grands, comme Charon ou Hirsch, ce n'est jamais lourd; ça fuse, c'est vrai! Très près de nous, le trio Lenain-Loriot­Michel était formidable.

IL CAMPIELLO Carlo GOLDINI
Cette comédie, que Goldoni avait écrite en dialecte vénitien, est montée au Rideau de Bruxelles (saison 1970-71) par Vera Bertinetti, dans un décor de Claudio Goroni. L'action y remplaçant l'intrigue, l'atmosphère est vivante, colorée, le cadre très scénique: une petite place publique entourée de quatre maisons avec fenêtres et cinq entrées praticables. C'est là que se réunissent les femmes pour bavarder.

Et les insultes, les boutades, les perfidies fusent; on s'aime, on se tire dans les pattes, on se réconcilie, on boude. La vie quoi!

IL CAMPIELLO Goldoni
Rideau de Bruxelles 1970-71
Avec Anne Carpriau


Dans la pièce, Suzy et Anne Carpriau sont deux maîtresses femmes, plus tout à fait jeunes, mais pas assez âgées pour renoncer à l'amour et aux chicaneries. Intaris­sables, infatigables, tantôt le poing sur la hanche, tantôt les bras croises, elles sont irrésistibles… Et patati, et patata!

Anne Carpriau et Suzy Falk sont deux inénarrables commères à la voix haute, au geste vif, au vocabulaire cru qui, d'un bout à l'autre du spectacle, répandent la bonne humeur et la saine joie de vivreV.D., Le Peuple

Anne Carpriau et Suzy Falk n'ont peut-être jamais été aussi drôles de leur vie que dans les rôles des deux veuves perpétuellement antagonistes et tout aussi perpétuellement complicesAndré Paris, Le Soir

L'OPERA SERIA Ranieri de CALZABIGI
C'est également Vera Bertinetti qui monte cette satire du XVIIIe siècle au Rideau de Bruxelles (saison 1971-72). Jean­Marie Fievez, qui ne lésine pas sur la couleur (cerise, pistache, citron), crée des costumes plus extravagants les uns que les autres. Le feu d'artifice des étoffes n'aura rien à envier à celui des sons!
L'OPERIA SERIA (R. de Calzabigi)
Th du Rideau de Bruxelles 1971-72
Avec André Breton

Belle attaque contre le théâtre lyrique du XVIIIe siècle où des cantatrices capricieuses rivalisaient entre elles - c'était à qui piquerait la note la plus élevée - et faisaient soupirer des prétendants plus vaniteux que sots!

Suzy (Smorfiosa) se trouve dans une forme éblouissante. Les airs sophistiqués qu'elle arbore provoquent l'hilarité. Le public ne rit pas du bout des dents, il se délecte de son maniérisme outré, il s'esclaffe!

A noter que la comédienne-cantatrice, dont la belle voix fit impression, ainsi que le constatait le critique de La Libre Belgique, répétait ce rôle tout en défendant le soir celui de Mary dans SAUVES, de Bond, un des plus amers qui soient.

L'OPERIA SERIA (R. de Calzabigi)
Th du Rideau de Bruxelles 1971-72
Avec Paul Dumont et Nicole Valberg



CHERS ZOISEAUX Jean ANOUILH
Il y a aussi un extraordinaire couple de domestiques. Lui (Léon Dony), on le comprend peu à peu, a servi autrefois dans l'O.A.S. (…) Elle, c'est l'impayable Suzy Falk, impertinente et le mégot collé à la lèvre. On finirait par se déplacer à la seule vue de son nom à l'affiche.Echo de la Bourse

Proche de la tradition du boulevard, cette pièce d'Anouilh est montée au Théâtre du Parc (saison 1979-80) par Roland Pietri. Une famille pittoresque, uniquement composée de parasites, vit sous l'autorité et aux crochets d'un romancier à succès. L'action rebondit sans cesse et l'humour ne se relâche à aucun moment.

CHERS ZOIZEAUX (J. Anouilh)
Th Royal du Parc 1979-80
Avec Léon Dony et Danielle Rodes

Avec le rôle de Maria, nous sommes loin de la sémillante Smorfiosa: la vision de cette traÎne-savate hargneuse, mal peignée et mal fagotée, découragerait le Diable en personne!

Léon Dony et Suzy Falk semblent sortis tout droit d'un roman de la "série noire"André Paris - Le Soir.

On peut difficilement lui donner tort!

L'ALCHIMISTE Ben JONSON
Bâtie sur le double thème de la luxure et de la cupidité, cette pièce de Jonson (mise en scène par Adrian Brine pour le Théâtre National, 1981-82) est bien ancrée dans son temps. Nous sommes en 1610, à Londres, ou la peste sévit. En s'en prenant au Malin, la Réforme a réveillé toutes les formes de démonologie; l'alchimie est à l'honneur, on parle beaucoup d'une certaine pierre philosophale…

(…) Jean-Claude Frison (Subtil), Jean-Claude Connart (actuel-lement Comart: Toupet) et Suzy Falk (Dol Tou1emonde): un trio dont les étroites connivences de talent font constamment leur effet .Joseph Bertrand, Pourquoi Pas ?

Toupet, un valet beau-parleur, est chargé de garder la maison de son patron pendant son absence. S'y installent avec lui deux pittoresques canailles: Subtil, soi-disant alchimiste, et Dol Toulemonde qui, la bien nommée, a la cuisse légère et la langue bien pendue! A trois, ils vont mener rondement leurs affaires.
L'ALCHIMISTE (de Ben Johnson) - TNB 1981-82
Avec Jean-Claude Frison et Jean-Paul Connart

Sur scène, ça carburait un max ! Le décor était constitué d'escaliers qu'on n'arrêtait pas de monter et de descendre. Il y avait aussi une sorte de panier-balançoire, assez impressionnant, qui nous emmenait dans les airs.

Evoquant Suzy, que ses deux comparses surnomment dans la pièce "Ma royale Dolly", "Ma petite Dolkin", "Notre Dol Nationale" ou "Ma pintade" (!), Jacques Franck écrivait dans La Libre Belgique: elle est irremplaçable!

Le rire, c'est important, Suzy?
Bien sûr! Mais les jeunes, qui se prennent parfois un peu trop au sérieux, ne veulent plus faire rire. Ils estiment que c'est médiocre et bas et que les gens sont des simples d'esprit. Il y a des exceptions, heureusement. Mais on n'a plus tellement de raison de rire: la vie est tellement triste. Les vieux rient plus souvent que les jeunes, semble-t-il. J'ai joué beaucoup de pièces dr61es et je crois que je sais comment m’y prendre.

Un critique a dit pour LA VIEILLE FOLLE (qui n'est pas particulièrement drôle) que j'en faisais des tonnes. Ce n'est pas vrai. Il n'a pas compris! Cette pièce est une pièce de démesure dans la situation. C'est cette vieille qui est comme ça. On ne peut pas, dans ce décor, et avec ce texte, jouer en ne faisant rien! LA BALADE DU GRAND MACABRE ne se joue pas non plus sur la pointe des pieds.


LA BALADE DU GRAND MACABRE
TNB 1979-80


Pour des vaudevilles, comme LE CANARD A L'ORANGE, par exemple (qui est un peu comme une comédie de mœurs, mais avec des effets), que j'ai monté avec mes amateurs, c'était tout différent. On n'a pas joué face à la salle. C'était léger: une comédie anglaise et de l'humour anglais. Du Feydeau, par exemple, c'est tellement bien écrit que si le rythme y est, c'est gagné. Il ne faut surtout pas marcher sur l'effet qui se fait dans le public. On lance l'effet, on suspend l'action un poil de seconde pour que le public vous renvoie la balle, puis on enchaîne. Je ne joue JAMAIS le public! Je joue POUR le public, AVEC le public. Quand je dis que je ne joue jamais le public, je veux dire que je ne joue pas autre chose que ce qui est écrit. J'essaie de jouer la situation. Parce qu'on peut jouer "à côté" de la situation des tas de trucs qui font rire avec "effets".

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