Que sont nos racines devenues?
Cultivons-nous encore la terre d'où nous venons?

Nous sommes des êtres en provenance, en souvenance, en mouvance...
Philippe Vauchel nous emmène au pays de ses racines! A travers lui, a travers son village, ses pierres, ses hommes et ses femmes, ce sont nos propres racines qui se prolongent… voire qui nous donnent des ailes!


Il joue, écrit, met en scène, avec boulimie et faconde, se revendiquant de la diagonale du fou

Dans son beau livre «La Planète des clowns», Alfred Simon cite Théodore de Banville: «Le clown habite l'impossible.» La formule semble avoir été forgée tout exprès pour Philippe Vauchel, 40 ans, comédien, metteur en scène et écrivain belge originaire de la province de Luxembourg. Il pourrait être le fils naturel de Dario Fo et d'Ionesco, d'Artaud et de Popov... L'impossible, pour lui, c'est d'habiter l'instant, avec justesse et intensité, que ce soit le temps d'un spectacle, d'une répétition, d'un repas entre amis voire d'une interview. Son visage rond et lunaire mangé par de grands yeux d'hypnotiseur et surmonté d'un front interminable rappelle immanquablement le Pierrot, dont il cultive la tendresse, le grotesque et la mélancolie. Ses mains pétrissent l'air, le sculptent au gré des mots, donnent du volume à une parole abondante et généreuse.

L'homme est tout entier tourné vers le présent et l'avenir. Il n'aime pas trop regarder en arrière et aime citer Oscar Wilde: «Le seul charme du passé, c'est qu'il est passé.» Dans les spectacles qu'il s'écrit, Philippe Vauchel fait rire du seul sujet qui vaille la peine: la mort. «J'y pense tout le temps, affirme-t-il. Elle est chevillée à ma vie quotidienne et à ma perception du monde.» Et de préciser que parler de la mort au théâtre est le contraire de la morbidité: «C'est le déni de la mort qui me semble morbide, précisément. Le rire nous sauve de tout.»

L'INTIMITÉ THÉÂTRALE
Le rapport avec les spectateurs - «les assis», comme il les appelle -, il le veut direct et intime. D'où, par exemple, ce théâtre en appartement - des représentations chez des privés dont une pièce de la maison est transformée en salle de spectacle pour une poignée de spectateurs - dont il est, un peu malgré lui, le porte-drapeau. «J'aime beaucoup cette façon d'entrer en contact avec les gens. L'idée que l'on réorganise toute la maisonnée le temps d'un partage théâtral m'émeut profondément.»

Cet été, on pourra apprécier la panoplie complète de ses talents, à Bruxelles et en Wallonie. A Stavelot, il reprend pour un soir «La Grande Vacance», variations drolatiques sur le dernier départ qui nous attend tous, «roux, Gémeaux, anciens scouts, mentons en galoche, menteurs, optimistes, lecteurs de l'Alchimiste, mangeurs de yaourt, maigres, catholiques, catholiques pratiquants, catholiques pratiquant un sport...» Le ton est donné.

Autre seul en scène à (re) découvrir pendant quatre soirs, au château du Karreveld cette fois - dont il reste un partenaire enthousiaste et fidèle - «Philippe Vauchel joue Racine... s». Cette évocation de son village (il est originaire de Marloie), lopin de terre universel où se condense la totalité de la comédie humaine, est mise en scène par son complice de toujours, Benoît Van Dorslaer.

Ce dernier figure dans la distribution d'«Yvonne Princesse de Bourgogne» du Polonais Witold Gombrowicz, que Philippe Vauchel met en scène dans le Parc de Bruxelles au mois d'août. Ce spectacle en plein air, ce sont les comédiens de la jeune compagnie Chéri-Chéri (avec lesquels il avait joué dans «Roméo et Juliette»), qui lui ont demandé de le mettre en scène. «J'ai vraiment découvert un auteur. Rien n'est gratuit chez lui, c'est du pulsionnel tout le temps; il a une dimension shakespearienne. J'ai demandé à Alain Van Crugten de me lire des passages en polonais, pour bien me pénétrer du rythme sinon de l'esprit de la langue originale. C'était magnifique.»

DIFFICILE DE DIRE NON...
Il confesse ne pas savoir dire «non» : «Je me sens toujours terriblement honoré qu'on veuille bien me demander quelque chose. Je n'ai pas de plan de carrière. Je vais là où les choses semblent devoir se passer, là où les énergies convergent, surtout.» Cette attitude peut le mener jusqu'aux marges de son art. Suite au travail qu'il a déjà effectué en milieu hospitalier avec la comédienne Claire Tefnin, l'Hôpital de la Citadelle à Liège vient de l'inviter à participer à l'accompagnement de parents qui ont perdu un enfant à la clinique. Cela suppose des rencontres avec des personnes qui tâchent d'assumer leur deuil, puis de tenter de «traduire artistiquement ces choses». Les textes sont soumis aux professionnels de la santé pour éviter tout dérapage dans ce difficile apport d'une dimension poétique incarnée à la tragédie humaine.

Il vient aussi de monter «Le Cercle de craie caucasien» de Bertolt Brecht, avec une douzaine de comédiens amateurs à Marche-en-Famenne. «C'est une très grande leçon de travailler avec eux. Rien n'est acquis, il faut remettre tout son métier sur le tapis: cela garantit le taux d'humilité dans l'air!» Il peaufine aussi Anna Rodriguez un spectacle de chansons - «Coeurs saignants et à point», donné une fois à Marche - dont il a écrit les textes que met en musique Pascal Chardome. «J'essaie de ne pas faire saigner les oreilles», dit-il.

JOUER, METTRE EN SCÈNE, ÉCRIRE
La solitude de l'artiste n'est pas un privilège qu'il revendique mais une condition qu'il subit: «Pendant la représentation, je plonge dans la famille des humains. Mais dès que je sors de scène et particulièrement quand je quitte le théâtre, l'angoisse revient: quel est le sens de tout cela, quelle utilité a mon existence? Je passe sans cesse du blues à l'émerveillement.» Jouer, mettre en scène, écrire : entre ces trois pôles de son travail, il ne met la priorité sur aucun, y voyant des facettes d'une même quête du sens... ou d'une même fuite devant la peur, selon son humeur du moment. «Je ne peux m'empêcher de me lancer des défis. En art, pour arriver à la vraie simplicité, il faut beaucoup de travail. Disons plutôt que je me réclame de l'artisanat. Si j'étais plus habile de mes mains, j'aimerais travailler à la scénographie, aux costumes, apprendre à jouer de tous les instruments. Inquiétante boulimie, non?»

Et s'il n'avait pas pratiqué les arts de la scène? «Le théâtre, au fond, c'est de l'anthropologie; on regarde l'espèce. Mais je pourrais m'intéresser à n'importe quel métier. Il n'est pas impossible que j'abandonne un jour le théâtre. L'important, c'est l'instant présent où, bien plus que les grandes idées, les petites choses de la vie nous relient profondément les uns aux autres et au cosmos.»

La Libre Belgique - Philip Tirard - 15/06/2004

Retour à la page précédente