La plus drôle des comédies de Molière avec la création d'une musique originale

Pourquoi avoir monté aujourd'hui "Le Bourgeois Gentilhomme"? Simplement parce que cette pièce nous fait hurler de rire. Et que nous voulions en confier le rôle-titre à Michel Hinderyckx.
Notre "Bourgeois" était ambitieux ... Daniel Hanssens à la mise en scène, la création d'une nouvelle adaptation musicale signée Dominique Jonckheere qui a été exécutée chaque soir par des musiciens live, 25 artistes sur le plateau (comédiens, danseurs, chanteurs, musiciens et acrobates), plus de 50 costumes, une impressionnante scénographie signée Xavier Rijs qui avait déjà conçu celles de "Le Songe d'une Nuit d'été" et de "Cyrano de Bergerac".


Louis XIV mesurait un 1m62. Perruqué et chaussé, il mesurait un 1m88. C’est vêtu que le roi prenait de la hauteur. Mr Jour-dain, lui aussi, veut grandir: il veut dominer et être vu de loin, lui aussi. Il va donc falloir qu’il «s’habille». Le bourgeois est petit, le gentilhomme devra le dépasser d’au moins 16cm. Mais l’entreprise n’est pas aisée: si Louis XIV a le corps gracile (grand danseur) charmant à ha-biller, Jourdain, lui, a le corps qui pèse.

Monsieur Jourdain (Michel Hinderyckx) ▶

Le Bourgeois gentilhomme est avant tout une affaire de corps, d’apparence. Jourdain n’ignore pas que dans la société du spectacle dans laquelle il veut s’introduire, il doit travestir la nature pour «être». Paraître, c’est être vu. Sembler, c’est être reconnu. Mais Jourdain a une nature trop forte qui fait craquer les coutures de l’habit : il ne sera que ce qu’il est, un bourgeois au corps lourd, lourd comme la réalité qui leste ses illusions. Il ne s’en rend pas compte, bien sûr, puisqu’il vit dans le rêve. Comme beaucoup de personnages de Molière, il pense que l’habit lui va à merveille, sans voir que l’habit n’est chez lui qu’un déguisement. Il voulait s’habiller, il se déguise. Tout ce qu’il met de neuf le «carnavalise», le rend grotesque et faux. Jourdain a beau s’évertuer à apprendre à devenir une «personne», il ne sera jamais qu’un personnage.

Pourtant, Jourdain travaille assidûment à sa métamorphose: chez lui, au grand désarroi de son épouse, il a créé «son» théâtre de la noblesse: il en possède les costumes, il apprend le texte, il répète paroles et mouvements… mais tout est faux, tout n’est que théâtre. Jourdain n’est l’interprète que du drapier qu’il est. Ses spectateurs le lui disent, mais il n’entend rien : il est fou. Fou au point de basculer corps et biens dans l’illusion pour ne jamais nous revenir. Il fallait une cérémonie pour ce formidable saut dans l’erreur: elle aura lieu, comme pour Argan à la fin du Malade imaginaire. Les deux hommes – l’un devenu noble turc, l’autre savant médecin – se perdent, engloutis par la grande illusion, aspirés par le fond du théâtre.

Ce mouvement permanent, ce jeu entre la réalité et l’illusion est le propre du théâtre baroque. Baroque, l’imagination du XVIIe siècle l’est assurément, elle qui se nourrit de fantaisies, de merveilleux, de représentations mytho-logiques. Mais le théâtre baroque est gourmand de contrastes, il aime mélanger la cruauté et la pastorale, le noir et le rose comme dans George Dandin ; ce qu’il aime plus que tout, c’est la transfiguration, le déguisement. Monsieur Jourdain est tombé dans ce bain-là. Etre «ailleurs» l’obsède. Certes, la noblesse ne s’acquiert pas, lui dit Molière, et ne peut grandir qui veut ; mais l’illusion de soi est si tenace, l’illusion du monde si entière que toute la force humaine de madame Jourdain ne parvient pas à retenir au sol son époux enturbanné. Molière a pris le parti des chimères.

Couché dans son lit, Louis XIV mesurait un mètre soixante-deux. Avant de s’endormir, le roi pouvait contempler une immense peinture recouvrant le plafond de sa chambre: Apollon sur son char. À quoi rêvait-il, ce petit homme allongé sous le dieu éblouissant de la Lumière? À la même chose que monsieur Jourdain, certainement : à être un autre.

Jean-Louis Benoît

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