Les nouvelles péripéties de notre jongleur de mots national !

« Je mène une vie scène » est un cocktail ébouriffant de mots cœurs et de mots cris jetés à la face d’un monde en pleine crise énergétique et climatique.
Et s’il se présente à vous, c’est animé du désir brûlant de faire un geste pour la planète en direct sur scène !


Bruno, quand on lui propose quelque chose, quoi que ce soit, en général, il est partant. Comme je lui avais proposé qu’on prenne un café, histoire de discuter pour pouvoir faire un portrait de lui, il ne s’est pas fait prier et est venu au Public un matin, en sortant de la chronique qu’il fait en direct sur RTL tous les lundis et les vendredis.
Pourtant, le matin, ce n’est pas son meilleur moment, nous a-t-il dit. Mais ça ne se voyait pas, il était comme toujours aimable, souriant et spitant. L’œil espiègle, pendant qu’on lui préparait son café, il nous a même raconté comment fonctionnait sa nouvelle fabuleuse machine à faire le thé. Il est comme ça, Bruno, toujours une bonne histoire à raconter à qui veut bien l’écouter, même à propos d’une tasse de thé.
Là où nous, simples mortels, voyons une situation banale, Bruno part dans une histoire qu’il a envie de nous partager. Cet été, par exemple, en contemplant, sur une plage du Pas-de-Calais, un homme en T-shirt Super Papa, se battre avec une tente Quechua – vous savez, celle dont la pub nous fait croire qu’elle se plie et se déplie d’un geste – sous l’œil médusé de ses enfants, il part, tout seul dans sa tête, dans un délire dont il a le secret : les enfants, ce serait en fait comme les tentes Quechua, on nous fait croire que c’est chouette et facile d’en élever, mais avec eux non plus, ça ne se passe jamais comme on veut.
Mon imaginaire, c’est de la science-fiction, je pars du réel pour emmener les gens.
Si quand on lui parle, il nous emmène directement dans son imaginaire décalé, c’est sans doute parce qu’il s’y perd lui-même.
Où qu’il aille, quoi qu’il fasse, les idées s’emparent de lui et l’emmènent sur des chemins de traverse. Quoi qu’il voie, il en prend le contrepied. Quand, au détour d’une expo Dalí à la gare des Guillemins, il croise les montres molles de La Persistance de la mémoire qui se télescopent avec la mauvaise humeur des voyageurs, il se fait immédiatement son petit délire personnel : si les montres sont molles, les trains le sont sûrement aussi. Et cette absence de résistance explique dès lors bien des choses, entre autres, le manque de réactions que nous avons eu, nous les Belges, face au traitement de la pandémie par nos autorités. Si nous sommes si peu réactifs, c’est qu’on nous ralentit depuis des années avec la complicité de la SNCB. CQFD !
Et il nous raconte ça avec son air gentil, presque un peu désolé. C’est donc ça qui se passe, jour après jour, dans la tête de Bruno. Un monde qui se tord, qui se distord et ressort par sa bouche en de foutraques histoires.
Des histoires qui l’ont, si pas sauvé, du moins aidé à prendre une place dans sa nombreuse famille. Avant-dernier d’une bande de huit, il lui a fallu trouver son moyen d’expression pour exister au milieu de tous ses sœurs et frères. Et il l’a compris un jour de communion. Tout le monde était là. Les parents, la fratrie, les parrains et marraines, une belle brochette, quoi. Et, à six ans, petit Bruno, hissé sur une table pour chanter une chanson, à faire pour la première fois son numéro en public, avec les regards tournés vers lui. Au bonheur de la sensation – enfin ses frères se rendaient compte qu’il existait ! –, il allait tout faire pour la retrouver, pour que son nom soit écrit sur des affiches, pour qu’on ne puisse plus faire abstraction de lui.
Le deuxième message du destin fut une élocution devant la classe. Ces causeries, cauchemar de la plupart des élèves, ont été pour lui un premier moyen de partager son enthousiasme. En parlant de Raymond Devos, qu’il aimait tant devant ses camarades, il a connu un autre succès. Après, ce fut le festival de Rochefort, la même année que Yolande Moreau. Il ne pouvait plus revenir en arrière, c’était décidé, son métier, ce serait seul sur scène à faire rire les gens !
Bien évidemment, la vie ne va pas toujours comme son bondissant camarade l’a décidé. Et heureusement, parfois, Bruno le solitaire s’est retrouvé dans une équipe, d’abord celle du Jeu du dictionnaire et puis celle d’Ici Blabla, pour son plus grand bonheur et le meilleur de son travail. C’est au sein de cette troupe, qu’il a appris à construire un personnage cohérent, on se souvient de Monsieur Virgule qui parlait en rimes – Couscous Petit mousse – et surtout qui racontait des histoires avec un début, un milieu et une fin.
Parmi ses camarades de jeu, une rencontre qui dure jusqu’à nos jours. Leurs deux esprits se sont complétés pour le meilleur et pour le rire. Éric connait Bruno sur le bout des doigts, sans son comparse depuis 27 ans et metteur en scène, Bruno ne serait pas où il est arrivé. Éric, avec son formidable talent pédagogique, parvient à le cadrer, à l’encadrer, pour lui faire faire des spectacles qui tiennent la route. Éric, qui part des failles des gens et les pousse à en à faire des forces. Éric, qui n’a pas eu peur d’aller jusqu’à attacher son bondissant camarade dans une baignoire lors de son premier spectacle afin l’empêcher de sauter dans tous les sens.
Bruno a les idées, il en a même en pagaille, mais sans son ami pour les canaliser, elles ne raconteraient pas d’histoires. Ces histoires qui font l’intérêt des spectacles de Bruno Coppens, ces histoires qui ont un début – souvent absurde, vous connaissez l’animal –, qui passent par une série de péripéties – plus foutraques les unes que les autres – et s’achèvent sur une évolution du personnage – loufoque souvent, mais néanmoins touchante –.
La vie est un scrabble, au début, tu tires des lettres sans savoir quoi écrire et au fil des rencontres, tu écris des mots dont certains comptent double ou triple.
J’essaye de construire ma vie, comme les trois temps d’un spectacle. Une enfance où on découvre le sujet, la jeunesse où on se construit et la maturité où on se retourne et on espère être heureux du parcours.

Éric, son truc, ce sont les images, Bruno, les mots et leurs jeux. À deux, ils parviennent à transformer l’éphémère d’un bon mot en une image qui raconte quelque chose, qui nous touchera et qui nous laissera entre rire et émotion.
Parce qu’au fond, c’est ça qu’il recherche, Bruno le feu follet, plus que de faire rire son public, c’est d’entrer en communion avec lui. Parce que les gens, il les aime, au-delà de tout. Chacune de ses représentations est du sur mesure. Une rencontre unique. Chaque fois, il s’adapte au lieu, à la salle… Il salue les gens là où ils sont, se coule dans son environnement, s’inspire de l’actualité. Quand une Reine décède, la salle entière, debout, lui rend hommage sous l’égide de notre ludion.
S’il peut en donner tant, c’est parce qu’il en reçoit de son public. Il n’est pas de ces humoristes enfermés dans leur bulle et dans leurs textes, Bruno fait partie de ceux qui nous donnent un spectacle unique chaque soir, une vraie rencontre. Accessible et généreux, il s’inscrit dans la vie des gens, il entre chez eux par leur poste de radio ou de télévision, il se laisse tutoyer avec le sourire, il prend toujours le temps d’échanger quelques mots ou de dédicacer l’un de ses livres. Il n’est pas là pour servir sa salade, dit-il, mais pour préparer un plat avec les ingrédients qu’on lui donne.
J’aime charger les gens d’énergie, qu’après la rencontre, ils ne puissent plus être comme avant.
Il est toujours dans le partage, Bruno, c’est une pile, il donne de l’énergie, de l’attention, du partage. Il aime parler de ce qu’il apprécie et grappiller les conseils des autres. Ce qui le fait vibrer ? Les livres, qu’il commence avec compulsion, mais qu’il laisse plus facilement tomber qu’avant. Si ça ne lui plait pas après 120 pages – tout le monde n’est pas aussi généreux –, il passe à autre chose. Mais quand il aime, il caresse ses lectures de son œil malicieux. Pour lui, Despentes, avec Vernon Subutex est la Balzac contemporaine, gageons que l’autrice aimerait ce regard. Il est aussi gourmand de films, de séries, de rire qui désacralise. Le film qui raconte le mieux le rire ? Joker de Todd Phillips !
Cet homme, devenu un des méchants les plus célèbres du monde de la fiction, parce qu’il n’a pas pu réaliser son rêve de faire du stand up. Des histoires, quoi. Toujours ces histoires avec un début, un milieu et une fin où on est content du chemin parcouru.
Une preuve encore de la puissance du rire et de celle de Bruno qui nous donnent à voir les choses sous un autre angle.
Une dernière pour la route ? Si on regarde un crâne sans préjugés, on constate qu’il sourit. C’est rassurant, même au-delà de la mort, on rigole. Rien n’est perdu, donc. L’humour serait finalement le meilleur moyen de révéler les choses en profondeur.
Par Deborah Danblon

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