Un hymne à la tolérance et à la vie
servi par une magistrale interprétation
d’Itsik Elbaz et de Janine Godinas

Le chef d'oeuvre de Romain Gary, récompensé d'un Goncourt en 1975, est un hymne à l'amour, un éloge à la vie pour tous ceux qui pensent que quels que soient les aléas de l'existence, d'où qu'on soit, où qu'on aille, on a toujours la vie devant soi.


Roman Kacew naît en 1914 à Wilno (Vilnius) en Lituanie qui faisait alors encore partie de la Russie impériale. Il est le fils d’un marchand juif de peaux et fourrures, Arieh Kacew, et de Mina Owczynska, qui aurait été actrice… Rien n’est moins sûr ; le flou artistique qui entoure la vie du petit Roman débute donc avant même sa naissance. En 1925, Arieh quitte femme et enfant et Mina élève seule son fils unique sur lequel elle fonde les espoirs les plus fous de grandeur et de gloire, elle qui ne fut jamais la grande comédienne qu’elle avait tant rêvé d’être. Sous diverses formes, elle sera le personnage souvent central de bien des œuvres de Gary, et la Madame Rosa de La Vie devant soi doit beaucoup à cette figure de mère juive, forte et angoissée à la fois, lionne défendant son petit contre le monde entier et ne doutant jamais qu’il deviendra un grand fauve admiré de tous. Mina, malgré les difficultés financières, élève donc Roman comme s’il était un prince, l’éduquant notamment dans l’amour de la France. Cette France lumière du monde, terre promise de liberté et de culture, berceau des grands poètes, patrie des arts. Fuyant les pogroms du communisme, elle l’emmènera à Nice où ils s’installent en 1928. Roman, qui est devenu Romain, a 14 ans. Il fait ses études au lycée de la ville tandis que sa mère parcourt les grands hôtels de la Riviera cherchant à fourguer aux richards de passage les pièces que lui confient quelques bijoutiers et antiquaires de Nice. Elle finira par s’offrir une pension de famille, l’hôtel Mermonts, qu’elle gèrera d’une main ferme et douce à la fois jusqu’à sa mort.

En 1933, Romain décroche son bac et monte à Paris pour étudier le droit. En 35 il obtient enfin cette nationalité française tant désirée. C’est le temps où sont publiées ses premières nouvelles, mais son premier roman Le Vin des Morts est refusé par tous les éditeurs. Sa licence de droit en poche, il entre en 1938 à l’Ecole de l’Air de Salon de Provence. Quand la guerre éclate, il fuit jusqu’à Glasgow en passant par Alger, Casablanca et Gibraltar. Il rallie alors les Forces Françaises Libres et vouera jusqu’au bout une admiration sans faille à De Gaulle. Il commence durant la guerre à jeter sur le papier les ébauches de ce qui deviendra Education européenne, son premier succès littéraire.

En 1941, Mina meurt sans que Romain ait pu la revoir. Après un passage en Afrique, il combat au Proche-Orient où il contracte le typhus dont il réchappe par miracle. De retour en Angleterre, il est incorporé au groupe de bombardement Lorraine et participe à de nombreux raids. En 1944, il est grièvement blessé puis est décoré de la croix de guerre. À Londres, il fait la connaissance de Lesley Blanch, une journaliste qu’il épouse en 45. La même année, la Légion d’Honneur lui est attribuée, mais surtout, Education européenne est publiée chez Calmann-Lévy et obtient le prix des Critiques. Malraux, Camus, Aragon et Kessel, entre autres, reconnaissent la naissance d’un grand écrivain. Romain Gary entre alors en diplomatie et se retrouve en poste à Sofia. Aux prémices de la guerre froide, on juge qu’un homme qui parle couramment le russe, le polonais, l’anglais et l’allemand peut y être utile. Il songe à écrire une pièce de théâtre pour Louis Jouvet qu’il admire, mais le maître se montre critique et difficile. Suite à cet échec, Romain renoncera presque définitivement à écrire pour la scène.

1948 : il publie Le Grand Vestiaire chez Gallimard, qui deviendra le confident paternel de cet auteur torturé et versatile. L’année suivante, il achète avec Lesley une vieille maison de Roquebrune dont il fera un temps son havre de paix. Au début des années 50, il se retrouve affecté à Berne où il s’ennuie prodigieusement, tandis que les traductions anglaises de ses romans le font connaître aux Etats-Unis.
Romain Gary devient officiellement son nom d’état civil. Il fait paraître Les Couleurs du jour alors qu’il est porte-parole de la délégation française à l’ONU. Puis il quitte New York pour Los Angeles où il sera Consul général de France jusqu’en 1961. Il fréquente alors tout le beau monde d’Hollywood. Il est à La Paz, en mission de remplacement, lorsqu’il apprend que le Goncourt 1956 lui a été attribué pour Les
Racines du ciel et il rentre à Paris précipitamment pour recevoir son prix.


En 1959, il rencontre l’actrice Jean Seberg et ils tombent éperdument amoureux. En 60, publication de La Promesse de l’aube, qui décrit son parcours et dans lequel la figure maternelle est centrale et omniprésente. La longue procédure de son divorce avec Lesley Blanch trouve son terme en 1963. Jean et lui, entre deux tournages, s’installent à Majorque où, en octobre, naît leur fils Alexandre Diego. Romain écrit en anglais ce qui deviendra Adieu Gary Cooper. En 66, il visite avec elle Varsovie et ce qui fut l’emplacement du ghetto. Ce voyage bouleversant donnera naissance à La Danse de Gengis Cohn qui paraîtra l’année suivante. Certains de ses romans sont adaptés au cinéma et Romain lui-même réalise Les Oiseaux vont mourir au Pérou. Il publie Chien blanc qui paraît en 1970, l’année de la disparition du Général De Gaulle, où l’on verra Gary sortir de sa tanière pour assister aux obsèques, revêtu de son vieux blouson de pilote, toutes ses médailles à la poitrine et arborant sa Légion d’Honneur. Il publie aux Etats-Unis un hommage vibrant dans Ode to the Man who was France. Séparé de Jean Seberg depuis 1968, les ex-amants vivent cependant dans la même rue à Paris. Gary n’arrête pas d’écrire, sous divers noms.

En 1975, Gallimard fait paraître au Mercure de France un roman signé d’un certain Émile Ajar : La Vie devant soi reçoit le prix Goncourt la même année, le deuxième de Gary qui se cache sous ce pseudonyme avec la complicité de son petit cousin, Paul Pavlowitch. Gary, sous son vrai nom, publie encore en 77 Clair de femme. Cette même année, l’adaptation cinématographique de La Vie devant soi vaut un César à Simone Signoret. En 1979, Jean Seberg meurt. L’année suivante Romain Gary met fin à ses jours avec son vieux pistolet d’ordonnance. Il laisse un mot déclarant que ce suicide n’a aucun lien avec la mort de Jean. En 1981 enfin, le mystère Ajar est levé : Gary et lui ne font plus qu’un définitivement.

(© Cahier pédagogique - Théâtre de Liège)

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