Tania Garbarski et Chalie Dupont
Le plombier, ce meilleur ami de la femme?
PLUSDEOFF.com : « TUYAUTERIE est une pièce que Philippe Blasband a écrite pour vous deux. En quoi son texte répond-il, dans votre désir de jouer ensemble, à vos attentes, tandis que les pièces passées jusqu’alors en revue ne vous convenaient pas ? »
Tania Garbarski : « Nous avions en réalité demandé à Philippe de nous écrire une pièce avant de tomber sur PROMENADE DE SANTÉ. Nous recherchions un texte pour nous deux qui puisse combler à la fois nos attentes d’acteurs mais aussi de spectateurs. Le temps qu’il nous l’écrive, nous sommes tombés sur PROMENADE DE SANTÉ qui nous a fait voyager pendant 3 ans.
Proposer aujourd’hui une pièce à la fois divertissante et intelligente est devenu rare. La finesse en comédie est un véritable art, et pour avoir travaillé à plusieurs reprises avec Philippe au cinéma —il est un de nos plus grands scénaristes belges, on lui doit IRINA PALM, LES ÉMOTIFS ANONYMES, UNE LIAISON PORNOGRAPHIQUE, NATHALIE, dernièrement le film de Jean-Pierre Améris MARIE HEURTIN, mais aussi au théâtre des pièces qui ont fait le tour du monde comme LES MANGEUSES DE CHOCOLAT, bref, je suis une véritable fan de son œuvre— c’est avec la peur au ventre que je me suis attelée à cette mission : « Oser lui demander de nous écrire quelque chose. »
Nous rêvions de proposer aux spectateurs une incursion dans le couple avec finesse, originalité et, cerise sur le gâteau, nous n’imaginions pas à quel point cela provoquerait de véritables éclats de rire. Cela, nous ne l’avions pas trouvé, en épluchant aussi bien le répertoire classique que contemporain.
Mais, pour être très honnête, nous n’avons pas été aussi précis lorsque nous nous sommes adressés à Philippe. Il connaissait assez bien notre travail et nous l’avons laissé entièrement libre dans son écriture. Il nous a pitché son idée assez vite et nous a dit : « Si cela vous plaît, je me lance. »
En tant qu’acteurs, nous avions envie d’explorer un jeu réaliste, proche de celui du cinéma mais qui serait malgré tout formidablement théâtral.
Un laboratoire des rapports homme/femme qui nous permettrait de voyager dans les émotions sans pour autant changer de personnage.
Philippe nous a offert des personnages d’une profondeur jubilatoire, pour deux acteurs, avec en trame de fond une belle histoire d’amour qui se moque des clichés et sonde la solitude de ces deux êtres.»
Charlie Dupont: « Pour être très honnête, c’est le théâtre entier qui ne me convenait pas pendant très longtemps.
Après quelques expériences douloureuses, j’avais décidé de me consacrer au cinéma.
Mais j’avais aussi l’envie forte de jouer avec Tania. Parce que c’est ma femme mais surtout parce que c’est une comédienne extraordinaire. Et puis les choses s’enchaînent de manière tellement cohérente qu’il est difficile de les refuser.
Après le succès de PROMENADE DE SANTÉ, quand, à la demande de Tania, Philippe Blasband nous propose un costard sur mesure qui explore à nouveau le couple, mais sous l’angle, encore plus jubilatoire pour moi, de la comédie érotico-psychologique…
Dire « non » aurait été de la bêtise…
Et dire « oui » un tel plaisir. »
PLUSDEOFF.com : « Dans l’interview que nous a accordée Hélène Theunissen à propos de sa mise en scène de PROMENADE DE SANTÉ, en évoquant son travail avec vous, elle insistait sur « la recherche de l’exactitude, de l’écoute et de l’étonnement. » Est-ce la même démarche que Philippe Blasband a suivie avec vous, ou d’autres axes ont-ils été développés, compte-tenu notamment du potentiel comique de la pièce ? »
Tania Garbarski : « Travailler avec l’auteur induit forcément une autre approche. Travailler avec un auteur qui en plus a écrit en pensant à vous… Nous l’avons vécu comme un grand cadeau. Philippe a tout en tête, mais sans aucune rigidité. Il est prêt à toutes les explorations, mais il a la musique de son texte, le rythme de la comédie, il les maîtrise à la perfection. Je pense qu’il doit l’entendre en écrivant.
Son travail c’est de nous amener ensuite vers ce rythme sans que cela soit fabriqué, artificiel. Et il est très fort pour faire en sorte que nous le retrouvions nous-même.
Nous avons beaucoup travaillé, beaucoup ri et beaucoup échangé. Avec « précision, écoute et étonnement. » Notre sincérité en dépend et on compte dessus chaque soir pour tout réinventer. »
Charlie Dupont: « Travailler avec un « vrai couple » offre toujours au metteur en scène une matière particulière… Surtout si la pièce traite du rapport homme/femme. Philippe Blasband, comme metteur en scène, a donc eu, lui aussi, à se farcir notre duo. Et il l’a exploité d’une autre manière… Mais avec ce même rapport à un jeu « naturaliste » que nous aimons.
Un jeu qui permet en fait tout simplement au spectateur de s’identifier.
Ce qu’un théâtre de genre, un théâtre « théâtreux », empêche d’une certaine manière.
Les personnages doivent à tout prix être crédibles pour être drôles. Et nous espérons qu’ils sont les deux. »
PLUSDEOFF.com : « En toute objectivité, quelles sont les qualités de comédien de votre partenaire ? »
Tania Garbarski : « C’est un animal ! Il est totalement intuitif et différent chaque soir. Il donne un fameux coup de pied à mon côté technicienne parfois laborieux : je suis pleine de rituels au théâtre, je respecte scrupuleusement les déplacements, les intentions… J’ai appris aux côtés de Charlie à réinventer parfois de manière acrobatique, mais que c’est excitant ! Et son potentiel comique est tellement énorme qu’il en devient contagieux, il m’emmène avec lui dans ces sphères-là et j’avoue que faire rire au théâtre est une joie inexplicable. »
Charlie Dupont: « Le fait d’être ma femme est une indéniable qualité !
Mais j’aurais envie de jouer avec elle, même si elle était la femme d’un autre.
Ce qui la caractérise comme actrice, c’est qu’elle est formidablement technicienne tout en ayant un instinct sûr.
Elle « sait » ce qui fonctionne, ce qui est juste. Là où moi je « sens » ce qui fonctionne.
Ce qui fait que notre duo fonctionne c’est que nous fonctionnons, comme acteurs, de manière totalement différente… Mais que nous avons la volonté de nous rejoindre quelque part sur scène, et que nous travaillons tous les soirs avec plus ou moins de bonheur pour y arriver. »
PLUSDEOFF.com : « En tant que spectateur, quels sont vos goûts en matière de théâtre ? Assistez-vous à des pièces ensemble, ou partez-vous à la découverte chacun de votre côté ? »
Tania Garbarski : « Nous n’allons pas assez au théâtre à mon goût ! Le problème lorsque l’on est acteurs et jeunes parents, c’est que les jokers pour aller au théâtre sont plus rares et que nous devons souvent faire un choix entre aller applaudir nos amis dans des spectacles que parfois nous n’aurions pas forcément choisis, et aller simplement voir ce qui nous attire.
Je suis particulièrement attirée par les formes qui inventent réellement quelque chose. Je garde une émotion toute particulière à la découverte de KISS AND CRY de Jaco Van Dormael qui nous a émus aux larmes, un spectacle où les acteurs ne jouent qu’avec leurs doigts ! Pour moi cela touche au génie, je suis bouleversée par cette capacité de création. J’aime aussi le théâtre plus classique, mais il doit alors être réinventé par une vision, une intelligence, un metteur en scène qui nous parle. Dans le théâtre contemporain, il y a des auteurs merveilleux, j’ai besoin qu’on me raconte une histoire, et que je puisse la comprendre. Les spectacles expérimentaux, bourrés de référence, qui se veulent trop intelligents, me font fuir. »
Charlie Dupont: « J’ai un rapport sado-masochiste avec le théâtre, comme avec la littérature en général d’ailleurs.
Je n’aime vraiment pas grand-chose et je me fais « chier » huit fois sur dix au théâtre, même quand je vais voir des potes.
Parfois, je me demande si le théâtre n’a pas été inventé pour faire du bien aux acteurs. Et si les spectateurs, dupes d’un jeu mondain, ne sont pas faussement heureux de payer pour faire plaisir à une bande de narcissiques.
Et puis, deux fois sur dix, il y a ce miracle de la scène. Cet enchantement qui ne se produit nulle part ailleurs aussi fort : un spectacle m’emporte… Et j’ai envie de crier, d’écrire et de jouer pour mille ans encore. Le théâtre, quand c’est chiant, il n’y a rien de plus chiant. Mais quand c’est beau, il n’y a rien de plus beau. »
—Propos recueillis par Walter Géhin, PLUSDEOFF.com