Autobiographie musicale
entre claquettes et gants de boxe
à mi-chemin entre Broadway et Bruxelles

Antoine Guillaume est un être à part, un être différent. Jugez plutôt: il aime les comédies musicales anglosaxones... ! En fait, il ne les aime pas. Il en rêve jour et nuit. Et il assume. Comme tout le reste, ou presque!


Sébastien Ministru est initialement journaliste de presse écrite. Mais aujourd’hui il est non seulement rédacteur en chef adjoint du magazine Le Moustique mais aussi chroniqueur radio (dans Snooze ou Bang Bang sur Pure FM) et auteur de théâtre. Généralement très caustiques, ses pièces tournent essentiellement autour de l’homosexualité. Ses quatre premières pièces, Un homard ! Où ça ? (1999), eXcit (2001), La fête des mères (2005) et Fever (2006), furent de francs succès mais Cendrillon, ce macho ! (2008) n’eut pas son pareil pour faire parler de lui. Récemment, l’auteur a coécrit avec Antoine Guillaume le spectacle Antoine Guillaume assume ! (2010). Mais qui est Antoine Guillaume ? Sorti tout droit du conservatoire de Bruxelles, il est aussi chanteur et danseur ! Il collectionne les expériences artistiques et a même été professeur de mouvements scéniques au Conservatoire où il travaille encore de manière ponctuelle. Antoine Guillaume assume ! N’est pas sa première collaboration avec Ministru, que du contraire ! À vrai dire, ce jeune homme se retrouve régulièrement dans les pièces de Sébastien Ministru et au TTO… Lumière sur leurs expériences communes !

Dites-nous ce qui vous a poussés vers le théâtre ?

Antoine Guillaume : J’ai déjà eu vite envie de faire ça quand j’étais petit. J’ai commencé par un cours de théâtre privé dans une école pour enfants. J’avais cours les mercredi après-midi – j’avais neuf, dix ans, je crois – et puis il y a un metteur en scène d’une troupe amateur qui est venu parce qu’il avait besoin d’un gamin pour jouer et qui m’a choisi. Du coup, j’ai eu l’occasion de jouer dans une troupe amateur au centre culturel d’Uccle quand j’avais 11 ans ! C’était tellement improbable ! Une grande scène avec une salle de 800 places, des décors… C’était le projet théâtral rêvé ! Et l’idée, qui n’était qu’un rêve d’enfant, a commencé à germer. Comme j’ai des parents qui m’ont toujours dit que je pourrais faire ce que je voulais si j’avais mon bac[1], en grandissant ça a été ma priorité : terminer mes études et faire une école d’art dramatique.

Sébastien Ministru : En fait, c’est Nathalie Uffner. Elle suivait un peu mon travail dans la presse écrite et à la radio, elle aimait bien ce que je faisais et puis moi, j’allais au TTO comme journaliste et spectateur et elle m’entendait toujours rire au dernier rang comme un imbécile. On s’est rencontrés comme ça et donc elle m’a proposé d’écrire un spectacle. Elle avait sans doute senti que j’étais doué pour quelque chose que je ne soupçonnais pas… Donc voilà ! C’est grâce à Nathalie Uffner que je fais du théâtre !

Sébastien, aviez-vous déjà écrit ou pensé écrire de la fiction avant cela ?

Non, jamais. Je ne pensais pas du tout écrire des comédies ou écrire pour la scène. J’étais simplement chroniqueur et voilà, basta ! C’est vraiment Nathalie qui m’a poussé en me disant qu’il y avait un ton, un langage chez moi qui pouvait être intéressant à expérimenter sur le champ de la comédie. Je me suis donc lancé, j’ai écrit mon premier texte, sur ses conseils… On ne l’a pas mis en scène mais j’en ai fait un deuxième et là, ça a commencé à bien marcher. Je ne savais pas du tout que j’étais capable de pouvoir tenir une heure et demie en comédie !

Antoine, de toutes les pièces signées Ministru, laquelle est votre préférée ?

J’aime bien toutes ses pièces mais Excit qui est la première dans laquelle j’ai joué est celle que j’ai le plus dans le cœur parce que c’est la rencontre avec Séba, que le pitch de départ est vraiment super intéressant et que c’est celle – et je ne parle que pour les pièces où j’ai joué – dans laquelle les rapports entre les personnages sont les plus développés et où le plaisir du jeu pour le comédien est vraiment à son maximum. Il y a vraiment une évolution dans le caractère, dans le rapport aux autres et à soi et puis, il y a un chouette mélange ! Excit c’est vraiment la rencontre de trois personnages qui sont pas du tout censés se rencontrer, qui ont des réticences et puis on se demande s’ils vont continuer leur chemin ensemble et puis on a – je vais pas vous raconter la fin au cas où elle serait reprise ! – … la fin. La pièce se déroule en trois étapes, en fait. En plus, ça a été un plaisir fou d’apprendre ce texte, de jouer ce texte, d’être mis en scène par Nathalie Uffner dans ce texte. Il y avait une ambiance sur le plateau qui était super, les gens ont été super réceptifs, ça s’est joué pendant plusieurs saisons, le spectacle a muri… Voilà pourquoi je dirais Excit : premier projet, rencontre avec Séba et pour le fond du spectacle. Après, il y a d’autres pièces de Séba que j’aime beaucoup, La fête des mères, par exemple, Un homard ! Où ça ? (C’est un monologue de Nathalie) et puis j’aime bien Antoine Guillaume assume ! Évidemment, mais c’est un seul en scène !

Sébastien, toutes vos pièces furent des réussites. Quel est votre secret ?

Aaah ! Un secret, non, je ne crois pas… Je ne sais pas expliquer exactement pourquoi les gens aiment les spectacles que je fais. Qu’est-ce que je pourrais dire là-dessus ? Peut-être, sans vouloir être prétentieux, que j’ai amené une tonalité dans la comédie qu’on n’entendait pas avant ? Quelque chose comme ça ! Les gens ont été séduits par l’originalité du ton, ça doit être ça le secret du succès des spectacles que j’ai écrits…

Antoine, pouvez-vous nous parler du projet Antoine Guillaume assume ! ?

En fait, j’ai une formation de chanteur (j’ai pris des cours de chant à Paris pendant deux ans) et quand je suis rentré sur Bruxelles, j’ai fait plusieurs petits concerts. Mon deuxième concert au Bota s’appelait Antoine Guillaume assume et j’avais proposé à Nathalie quand on a commencé à travailler sur Cendrillon de faire un One Shot à la Toison d’Or, pour voir si ça marchait, et ça a super bien fonctionné. Le pitch de départ était que je chantais des trucs que personne ne connaissait, à part Lisa Minelli ou Barbara Streisand. C’était vraiment un concert, pas du tout une pièce, un tour de chant pendant lequel je racontais des idioties qui faisaient rire tout le monde mais c’est tout. À la fin du spectacle Sylvie Rager et Nathalie sont venues me voir et m’ont dit que c’était super mais qu’il fallait faire du concept un vrai spectacle avec une fiction narrative qui pourrait introduire les chansons et de là est parti l’idée de faire un seul en scène qui raconterait la vie de quelqu’un, d’un point A à un point B, à savoir Antoine Guillaume. Mais ce n’est pas le vrai Antoine Guillaume ! Ce n’est pas vraiment ma vie et heureusement ! Donc, par la suite, j’ai vu Sébastien à qui j’ai donné plein d’anecdotes de ma vie et lui les a mises dans un mixeur et en a fait l’histoire d’un petit garçon qui, depuis qu’il est petit, aime des trucs que personne ne connaît et qui n’est jamais en interaction avec ses amis. Il vit d’abord ça comme un handicap social et puis ça devient une richesse !

Et, Sébastien, d’où est née l’idée de Cendrillon, ce macho ! ?

C’est une idée de Nathalie et de moi. En fait, c’est une idée de Nathalie au départ. Elle avait envie depuis très longtemps de moderniser un conte de fée. Elle m’avait souvent dit qu’elle avait envie de raconter un conte de fée de façon moderne. Moi, ça ne m’avait pas tellement intrigué ni intéressé et puis elle est revenue avec cette idée et par boutade – on était en train de manger, on ne travaillait même pas – je lui ai dit : « si tu veux qu’on fasse un conte de fée ensemble alors on fera Cendrillon et il sera homo ! ». C’était vraiment pas sérieux et elle a répondu : « mais oui ! C’est super, faisons ça ! ». L’idée est très, très simple en fait… Il suffit de prendre le conte de fée tel qu’il est et de remplacer le sexe du héros, c’est tout. Vous avez alors quelque chose d’identique et en même temps de très différent. Après, j’ai trouvé intéressant de justement détourner le conte de fée originel et original en montrant que les contes tels qu’ils sont répertoriés structurent l’esprit des enfants : il y a un monsieur, une madame, un mariage, et voilà ! Donc tous les stéréotypes sont là pour construire l’identité des enfants et ils ont des schémas hétérocentrés. Moi je voulais montrer qu’il n’y avait pas que ça. Il y a des enfants qui ne se reconnaissent peut-être pas non plus dans cette histoire, qui se sentent déjà un peu différents, et c’est pour ça que je voulais faire un conte de fée avec un prince et un prince.

Antoine, dites-nous, quel type d’auteur est Sébastien ? Plutôt libre et cool ou exigeant et collant (du genre à assister à toutes les répétions et représentations) ?

Il est ni libre et cool ni super exigeant. En fait, je crois qu’il sait très bien ce qu’il veut. Il assiste en général aux premières lectures des pièces, laisse parler le metteur en scène puis revient sur certaines choses sur lesquelles il veut vraiment insister. Il n’impose pas la manière de jouer mais il va réaxer les comédiens qui n’offrent pas le message qu’il veut faire passer. Puis, quand il vient, c’est à des blocs de répétitions et il ne se permet pas de commenter. Il vient en observateur et après il rediscute avec le metteur en scène et le laisse digérer les informations et les réexpliquer aux comédiens. Par la suite, quand il revient, il se permet de faire des commentaires directement : « ça c’est bien, ça c’est pas bien ». Mais je ne l’ai jamais entendu dire que c’était vraiment nul. Il y a une fois où, après une représentation d’Excit, il nous a dit qu’on n’était pas dedans mais c’est arrivé une fois sur 150 représentations ! Donc ce n’est pas un tyran, il n’est pas super cool car il est exigeant sur les choses qui lui semblent importantes mais c’est tout ! Après dans l’écriture, je ne sais pas, je sais qu’il prend des blocs de temps pour écrire et il ne va rien en dire. Du coup, c’est toujours la grosse surprise lorsqu’on reçoit le texte !

Vous êtes des figures marquantes du TTO. Pensez-vous un jour changer totalement de genre et rompre avec cette tradition du rire ?

Sébastien Ministru : Non, ça ne m’intéresse pas tellement. Je préfère continuer à faire évoluer mon langage et mon écriture dans le champ de la comédie. C’est très difficile d’ailleurs parce que parfois on a l’impression qu’on a tout raconté et qu’on se répète mais j’ai envie de continuer à faire des pièces qui fassent un petit peu plus avancer les choses au niveau du langage et de la comédie. Je n’ai pas du tout envie d’écrire des drames ou de faire de la tragédie ou de la danse contemporaine. Avec tout le respect que j’ai pour le drame, la tragédie ou la danse contemporaine, si j’écris un truc un peu sérieux, après cinq minutes les vannes vont arriver donc autant que je continue dans ce que je fais le mieux !

Antoine Guillaume : Pour ma part, je serais ravi de participer à d’autres spectacles mais il se fait qu’en Belgique malheureusement on est très vite catalogué. Je n’ai pas demandé à être catalogué dans le style comique. C’est un style dans lequel je m’épanouis totalement, qui me plait, que j’adore faire mais j’ai eu mon premier prix de conservatoire avec des scènes comme « Equus » de Peter Shaffer qui n’est pas vraiment dans le répertoire comique (un adolescent torturé qui crève les yeux des chevaux c’est tout de même pas ce qu’on a fait de plus drôle)… D’ailleurs, je travaille aussi en tant que chorégraphe pour l’Ange bleu[2] au Par cet pour Palace[3] à la Comédie de Bruxelles, j’ai des projets ponctuels au Conservatoire, je travaille régulièrement au théâtre des Martyrs. Je ne suis pas contre le fait de travailler de la tragédie, j’en suis tout à fait capable mais on ne me le propose pas, peut-être un peu par frilosité… Pourtant un comédien est censé pouvoir tout jouer ! Ici, on aime ranger les gens dans des cases : on est soit comédien, soit chanteur, soit danseur. Et j’aimerais que ça change comme la mentalité anglo-saxonne que j’adore qui accepte qu’on soit flexible sur tous les niveaux : on fait de l’art vivant, pas juste du théâtre, de la danse ou du chant ! Heureusement, on évolue doucement vers ça. On se rend compte qu’avoir les trois cordes à son arc, c’est pas mal ! Cela dit, pour en revenir à la question d’un genre vers lequel j’aimerais aller, je pense que les projets artistiques naissent de rencontres et qu’il faut des gens qui y croient mais je ne peux pas imposer aux gens de croire aux choses que j’aimerais faire ! Moi j’y crois, je les fais, j’avance et j’adore quand on me dit : « Eh, en fait, ce serait cool d’essayer un nouveau truc ensemble ! ». Mais bon, il y a un manque d’audace et c’est dommage ! Enfin voilà ! Non, je ne vais pas me mettre à jouer que du Racine mais si il y a des gens qui veulent me faire jouer une tragédie, un truc très, très triste, je suis partant !

À quand votre prochaine création ?

Sébastien Ministru : Ma prochaine création… Je ne sais pas si on peut déjà le dire mais on prépare un truc soit pour la saison prochaine soit pour la suivante. Ce sera encore une comédie mais comme j’ai dit, on va essayer de faire un peu avancer les choses !

Antoine Guillaume : Je n’aime pas parler des projets tant qu’ils ne sont pas existants mais je suis en train d’écrire un nouveau spectacle sur un sujet un peu plus fondamental (sans être « didactico-chiant ») et c’est probablement pour la saison prochaine voire la suivante car il faut le temps de l’écrire, d’argumenter, de trouver les personnes que ça intéresse etc. À part ça, actuellement, je vous parlais des chorégraphies de l’Ange bleu pour le théâtre du Parc qui commence le 24 novembre, je crois, et de Palace qui commence le 2 décembre. En outre, j’ai repris Antoine Guillaume assume ! Le 9 novembre et on recommence Cendrillon, ce macho ! À partir du 22 novembre. Et puis pour ce qui est de mes envies, j’ai envie de faire plus de chorégraphies ! J’adore faire danser les comédiens et travailler avec eux. Les danseurs professionnels dans les compagnies de danse sont dans une recherche très créatrice au niveau du mouvement et du rapport au corps, moi j’aime bien quand il y a besoin de mouvements dansés dans un spectacle formaté théâtre et que les acteurs arrivent à donner le change…

Interviews réalisées le 21 octobre 2011 et le 02 novembre 2011 par Carole Glaude.

Retour à la page précédente