La pièce que Molière a le plus jouée…
Une farce vive, rapide, qui va de rebondissements en rebondissements

En 1666, Molière triomphe comme auteur, comédien et chef de troupe du roi. Mais il est aussi l’objet de nombreuses critiques lorsqu’il fait représenter Le Médecin malgré lui.

Considéré jusque-là comme un simple amuseur, il s’est lancé depuis quelques années dans un genre intermédiaire, à la frontière du tragique, où la peinture de caractères s’enrichit d’une réflexion sur l’hypocrisie dans les comportements individuels et les institutions sociales, ce qui lui vaut de violentes critiques. Le Tartuffe, où l’on voit un faux dévot s’établir dans une famille qu’il tente de dilapider, a été interdit. Le personnage de Dom Juan qui, dans sa quête du plaisir et de la liberté, tient tête jusqu’au bout à la menace chrétienne de l’Enfer, et qui finit par prendre le masque du dévot pour que la société le laisse tranquille, relance le scandale. Deux mois avant Le Médecin malgré lui, Molière subit un échec avec Le Misanthrope : Alceste y apparaît en révolté, qui condamne l’hypocrisie d’une société fondée sur le mensonge.

On considère généralement que Le Médecin malgré lui, écrit juste après Le Misanthrope, marque un retour au gros rire destiné à plaire et à accroître les recettes. De fait, cette pièce est une de celles que Molière a reprises le plus souvent (59 fois), ce qui témoigne de son succès.


La farce et le théâtre italien

La farce est un genre comique populaire fondé sur des jeux de scène, et des mimiques propres à déclencher l'hilarité. Très présente au Moyen Âge et à la Renaissance, elle avait à peu près disparu au XVIIe siècle. Molière la ressuscite pendant sa période itinérante : les farces forment le fond du répertoire de la troupe ambulante de comédiens avec laquelle il parcourt la France pendant douze ans. Il écrit lui-même deux farces dont les textes sont parvenus jusqu'à nous : La Jalousie du barbouillé et Le Médecin volant. Huit ans après ses débuts à la cour, il y revient : Le Médecin malgré lui, à commencer par la dispute conjugale, prétexte à injures, qui ouvre la pièce, et bien sûr ses multiples coups de bâton, est une farce particulièrement survoltée. Molière est aussi fasciné par le jeu des comédiens italiens qui, au XVIIe siècle, remportent un succès croissant: Louis XIV les promeut comédiens du roi. D'Italie, ils apportaient une nouvelle forme de spectacle, la commedia dell'arte, bien connue pour ses types : les vieillards comme Pantalon, les jeunes premières amoureuses, les soubrettes et surtout les valets intrigants, tels Arlequin et Brighella. Les comédiens improvisent à partir d'un canevas dramatique simple, pratiquent l'art de la pantomime en jouant de leurs corps (voltiges, pirouettes, coups de bâton) dans des jeux de scène bouffons. Insolents et railleurs, ils risquent souvent sur scène des obscénités sexuelles, des jeux de mots grossiers, toutes sortes d'injures. Leurs pièces, en italien mais aussi en français, sont très libres et forment l'envers du théâtre classique, l'envers d'un monde ordonné par les règles, la vraisemblance et la bienséance. Quant à leur jeu et à leur diction, ils sont eux aussi à l'opposé de ceux des comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, où l'on donne les tragédies, et où domine une esthétique austère, avec des corps figés, raides, et une diction ampoulée toujours à la limite de la déclamation. On sait par des témoignages que Molière acteur a copié la mimique et les savantes gesticulations des Italiens. La tradition veut même qu'il ait été, dans sa jeunesse, l'élève du célèbre bouffon italien Scaramouche. Donneau de Visé écrit dans son hommage funèbre : « Il était comédien depuis les pieds jusqu'à la tête ; il semblait qu'il eût plusieurs voix; tout partait en lui et d'un pas, d'un sourire, d'un clin d'œil et d'un remuement de tête, il faisait concevoir plus de choses qu'un grand parleur n'aurait pu dire en une heure. »

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