Un travail d’orfèvre, un rendez-vous gourmand,
avec un humour corrosif, pénétrant et pudique.

Pierre Desproges ne se prenait pas pour un con, mais, fort heureusement, il ne nous prend pas pour des cons non plus. Il arrivait à faire rire et à émouvoir car son talent était dans la réplique cinglante autant que dans la pudeur des vérités.

«L'excellent Dominique Rongvaux vous livrera une prestation seul-en-scène qui en étonnera plus d'un. Son travail sur les textes de feu Pierre Desproges est époustouflant» Femmes d’aujourd’hui
Il faut vivre avec les morts, surtout quand ils sont bien vivants. Pierre Desproges ne se prenait pas pour un con, mais, fort heureusement, il ne nous prend pas pour des cons non plus. Ce qu’il écrit est intelligent, érudit et pourtant drôle, mais pas que. Monter Desproges, c’est penser au matin glauque, mais aussi au lendemain qui chante.
"Pourquoi riez-vous ? J’aimerais tellement vous émouvoir... " disait Desproges.

Et il y arrivait, à faire rire et à émouvoir car son talent était dans la réplique cinglante autant que dans la pudeur des vérités. Derrière la gaieté du clown se cachait (à peine) un métaphysicien de la vie. Un misanthrope ouvert au monde. L'esprit ouvert, la plume acérée, Desproges maniait la critique ironique sur bon nombre de
sujets.

Nous vous invitons à découvrir un savant de l’humour qui, pour avoir la pensée juste, n’a pourtant pas que de justes pensées ! Étonnant, non ?!


Pierre Desproges était un être singulier. Je ne veux pas seulement dire qu’il ne ressemblait à personne, mais aussi qu’il pensait, sentait, aimait, rejetait au cas par cas. Il n’était pas antiraciste. Il était a-raciste. (Pour ceux et celles qui auraient fait leurs études sous Jack Lang, le a- de a-raciste vient de l’alpha privatif grec et signifie l’absence).

« Le pluriel ne vaut rien à l’homme », chantait son cher Brassens. C’est l’une des rares choses dont Pierre était sûr, lui qui cultivait le doute et qui abominait ceux qui moulinaient des certitudes. On regrettera vivement que sa veuve et ses orphelines n’aient pas pensé, lors de l’autopsie, à faire vérifier que l’incapacité congénitale de leur seigneur et maître à penser par catégories ne venait pas d’une particularité physiologique rare, d’un gène peu répandu ou de l’excroissance de telle ou telle glande. On aurait pu tenter une greffe, réaliser une transplantation d’organe, entreprendre une manipulation génétique. L’incapacité congénitale à penser par catégories dont était atteint Desproges est, en effet, d’une rareté proportionnelle à son utilité et même à sa nécessité. Surtout ces temps-ci.
Pierre Desproges particularisait. Ceux qui généralisent lui foutaient les jetons. C’est pourquoi il leur envoyait des flèches. Il en envoya une bordée à Anne Sinclair lorsqu’elle déclara qu’elle n’aurait pas pu aimer Ivan Levaï s’il n’avait pas été juif. Il entendait qu’Ivan Levaï puisse être ou devenir arabe, peau-rouge ou costarmoricain sans avoir à renoncer à l’amour d’Anne Sinclair. La pensée d’un monde où l’on se promènerait en fonction de son étiquette lui mettait la rate au court-bouillon. Et, comme il avait gardé de la culture limougeaude dont il était issu (la culture, pas la race) un réflexe de méfiance, il soupçonnait que, derrière la pensée par catégories, il y avait quelques manipulations qui profitaient à des profiteurs.

Derrière les jeunophiles, il flairait l’avidité des marchands de marchandises. Bien avant la presse et les juges d’instruction, il avait observé parmi les amis auto-proclamés du genre humain des aigrefins ivres d’amour d’eux-mêmes, de goût de l’argent et du pouvoir. Parmi ceux-là, il avait repéré des antiracistes professionnels faisant carrière sur l’exhibition de leur belle âme. C’est qu’il avait l’œil, Pierre Desproges, et, comme je viens d’avoir l’honneur de vous le dire, un œil qui faisait le détail. Ce n’est que l’une des raisons pour lesquelles il nous manque.

Philippe Meyer (www.desproges.fr)

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