4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.15.
Rodgers & Hart (I)

 5.16.A.
Les producteurs
André Charlot et
Charles B. Cochran

 5.16.B.7.
Quelques oeuvres
de Noël Coward

 5.17.
George and Ira Gershwin (I)

 6.
1927 - «Show Boat»

B.3) Succès de l'entre-deux-guerres

En 1920, à l'âge de 20 ans, Coward joue dans sa propre pièce, la comédie légère I'll Leave It to You (). Après un try-out à Manchester, il a ouvert à Londres au New Theatre (rebaptisé 86 ans plus tard le Noël Coward Theatre en 2006). Ce sera sa première pièce jouée dans le West End. La presse est mitigée, mais encourageante. L'Observateur a commenté: «M. Coward ... a un vrai sens de la comédie, et s'il peut surmonter une tendance à l'intelligence, il va probablement produire une bonne pièce un de ces jours.» Le Times, quant à lui, s'enthousiasme: «C'est un travail remarquable d'une tête si jeune, spontanée, légère et toujours ‘cérébrale’.»

La pièce a tenu l’affiche un mois (et a été la première pièce de Coward jouée en Amérique), après quoi Coward est retourné jouer dans les œuvres d'autres écrivains, dont Ralph dans The Knight of the Burning Pestle (1607) de Francis Beaumont et John Fletcher, à Birmingham puis à Londres. Il n'a pas du tout apprécié son rôle, trouvant que les auteurs sont «deux des écrivains élisabéthains les plus ennuyeux jamais connus... J'ai eu un très, très long rôle, mais j'ai été très, très mauvais». Néanmoins, The Manchester Guardian pensait que Coward tirait le meilleur parti du rôle, et the Times qualifia la pièce de «la chose la plus jolie à Londres

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Coward a alors terminé une satire en un acte, The Better Half (), abordant la relation d'un homme avec deux femmes. Elle a été jouée pour une courte série au Little Theatre de Londres, en 1922. Le critique St John Ervine a écrit à propos de la pièce : «Quand M. Coward aura appris que les bavardages des tables de thé feraient mieux de rester la prérogative des femmes, il écrira des pièces plus intéressantes qu'il semble maintenant susceptible d'écrire.» Un clin d’œil de l’histoire sans doute, la pièce a été perdue pendant très longtemps jusqu'à ce qu'un script soit retrouvé en 2007 dans les archives du Bureau de Lord Chamberlain, le censeur officiel des pièces de théâtre au Royaume-Uni jusqu'en 1968.

En 1921, Coward fit son premier voyage en Amérique, dans l'espoir d'intéresser les producteurs avec ses pièces. Cela n’a donné aucun résultat concret, mais il a pu observer le théâtre de Broadway, qu’il a trouvé stimulant. Il a absorbé son intelligence et son rythme dans son propre travail, ce qui débouchera sur son premier véritable succès en tant qu’auteur avec The Young Idea (). La pièce a ouvert à Londres en 1923, après une tournée provinciale, avec Coward dans l'un des rôles principaux. Les critiques sont bonnes: «M. Noël Coward appelle sa brillante petite farce une «comédie de jeunesse», et c'est ainsi. Et les jeunes ont envahi le Savoy hier soir, applaudissant tout si bruyamment que vous avez senti, non sans exaltation, que vous étiez au milieu d'un rag». Un critique, qui nota l'influence de Bernard Shaw sur l'écriture de Coward, s’intéressa plus à la pièce qu'aux nouveaux fans de Coward: «J'étais malheureusement coincé au centre d'un groupe de ses amis les plus exubérants qui saluaient chacune de ses boutades par un 'That's a Noëlism!'» La pièce se ctée à Londres du 1er février au 24 mars 1923, après quoi Coward se tourne vers la Revue, en écrivant certaines chansons – dont Parisian Pierrot pour son amie de longue date Gertrude Lawrence dans la revue André Charlot's London Revue of 1924 qui après Londres finira à Broadway – et jouant dans London Calling d'André Charlot!

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The Vortex

En 1924, Coward a obtenu son premier grand succès critique et financier en tant qu’auteur avec The Vortex (). L'histoire suit une mondaine nymphomane et son fils accro à la cocaïne (joué par Coward). Certains verront la drogue comme un masque de l'homosexualité; Kenneth Tynan décrit la pièce comme «une jérémiade contre les stupéfiants avec un dialogue qui semble aujourd'hui moins guindé que haut-talonné».

The Vortex () a été considérée comme très choquante à son époque (pourtant très libre) à cause de la dénonciation de la vanité sexuelle et de l'abus de drogue au sein des classes supérieures. Mais, comme souvent, le parfum de scandale, le bouche-à-oreille et des représentations enflammées ont attiré un très large public, justifiant le passage d'un petit théâtre de banlieue à un plus grand théâtre dans le West End.

Coward, qui a encore du mal à trouver des producteurs, a économisé l'argent gagné avec The Vortex () pour produire ses pièces lui-même.

Pendant la série de The Vortex (), Coward a rencontré Jack Wilson, un bel agent de change américain qui est devenu son amant et son directeur commercial pendant toute la décennie suivante.

Aveuglé par l'affection, Noël a ignoré sa forte consommation d'alcool. Il a même pardonné à Wilson l'argent qu'il lui a volé - exigeant même que tous les autres membres de son entourage ignorent également ces choses. Pour rendre son engagement clair, Coward achète Goldenhurst Farm dans le Kent, rénove les bâtiments et emménage avec ses parents et Wilson en 1926. La presse britannique n'a pas osé s'immiscer dans la vie privée des célébrités à cette époque, donc cet arrangement potentiellement scandaleux passé inaperçu du public.

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Hay Fever
Revival de 2015 au Duke Of York's Theatre - Londres

Le succès de The Vortex () à Londres et en Amérique a provoqué une grande demande pour de nouvelles pièces de Coward.

En 1925, il crée Fallen Angels (), une comédie en trois actes qui a amusé et choqué le public avec le spectacle de deux femmes d'âge moyen se saoulant lentement en attendant l'arrivée de leur ex-amant commun. Dans l'écriture de ses pièces, Noël Coward a souvent été très proche des limites de la bienséance, flirtant avec la censure.

Hay Fever () (1925, 337 représentations), la première des pièces de Coward à gagner une place durable dans le répertoire théâtral grand public (on compte actuellement une dizaine de reprises majeures à Londres), a également été créée en 1925. Il s'agit d'une comédie sur les quatre membres excentriques de la famille Bliss et leur comportement bizarre quand ils invitent pour le week-end chacun un invité. Le comportement égocentrique des hôtes pousse finalement leurs invités à fuir tandis que les Bliss sont tellement engagés dans une guerre de famille qu'ils ne remarquent pas le départ furtif de leurs invités. Certains ont cru reconnaître des éléments de l'ancien mentor de Coward, Mme Astley Cooper et sa famille. Dans les années 1970, la pièce est reconnue comme un classique, décrite dans le Times comme une «réalisation éblouissante; comme The Importance of Being Earnest, c'est de la comédie pure sans autre mission que de ravir, dépendant uniquement de l'interaction des personnages et non d'une machinerie comique élaborée

En juin 1925, Coward avait quatre de ses pièces jouées en même temps dans le West End: The Vortex (), Fallen Angels (), Hay Fever () et On with the Dance (), une revue du producteur Cochran qui comprenait la chanson Poor Little Rich GirlCocktails and laughter, but what comes after, nobody knows»). Pas totalement absent de second degré, une fois de plus!

Toujours en 1925, il créée Easy Virtue () (1925, 147 représentations), un drame sur l'affrontement d'une divorcée avec sa belle-famille snob. L'année suivante, il propose The Queen Was in the Parlour () (1926, 137 représentations), une romance en Ruritanie.

B.4) Censure et incident de santé

Une pièce occupe un peu une place à part à cette époque: This Was a Man (). Une controverse a entouré la pièce à sa création car elle traitait de la question de l’adultère de manière humoristique. La pièce présente en fait l’adultère comme une pratique courante et qui a en réalité fort peu de conséquences. Même à la toute fin de la pièce, quand Edward déclare qu’il va divorcer de Carol, il va nonchalamment déjeuner et la dernière réplique ramène la pièce définitivement en territoire comique: «Il sera toujours le temps de se tirer une balle après.»

Le Lord Chamberlain (censeur du théâtre britannique) a refusé la licence de This Was a Man () à l’époque, même si The Vortex (), la pièce de Noël Coward sur la toxicomanie, avait été présentée sur la scène publique quelques années auparavant. La réalité est que l’adultère était beaucoup plus «tentant et accessible» pour les masses populaires que les stupéfiants illégaux et après de nombreux débats dans le bureau de Lord Chamberlain, il a été décidé que la license d’exploitation lui serait refusée. Au lieu de cela, le spectacle a été créé à New York en 1926.

La Première a lieu en novembre 1926 dans une mise en scène de Basil Dean au Klaw Theatre de New York. Bien que Coward ait écrit des commentaires positifs sur le travail suite à ses visites aux répétitions, il est devenu très critique après la création de la pièce. Bien qu’il ait estimé que Francis Larrimore était «très bon» dans le rôle de Carol, il a écrit que Nigel Bruce dans celui d’Evelyn «n’a jamais compris de quoi il s’agissait». Cet avis de l’auteur n’était pas partagé par tous puisque, par exemple, le critique Percy Hammand, bien que très critique sur la production en général, a loué Bruce comme «la joie principale de la soirée».

La prestation d’A.E. Mathews dans le role d’Edward a été fortement remise en cause parce qu’il ne connaissait pas son texte! Mathews a écrit une lettre à Noël Coward pour s’excuser pour les dommages que son incapacité à se rappeler son texte avait fait à la production… Coward avouera plus tard dans une lettre à Basil Dean en 1929 à propos de sa mise en scène: «if the writing of it was slow, the production was practically stationary». Cette production n’a pas reçu l’éloge de la presse américaine comme ses œuvres précédentes. Coward écrira dans son autobiographie:

«This was a Man est en pleine dérive… certains des critiques (les principaux) ont dit de très bonnes choses à son sujet, mais je crains qu’il ne soit trop tard pour le sauver.»

Noël Coward - Present Indicative (Biography and Autobiography) (1937)


Après une période où il a enchaîné les succès intense, l’échec relatif de This Was a Man () avait eu des conséquences sur la santé de Noël Coward. Auquel se rajoutait son surmenage démentiel... Le 14 décembre, Coward a écrit:

«I have been living on nervous energy for years and now it has given out and that I must go away at once!... I haven’t had a break down but the doctor says I’m on the verge of one.»

Noël Coward


Coward a joué de nombreuses pièces – les siennes comme celles d’autres auteurs. Il faut dire qu'avec le succès soudain de The Vortex (), Coward était très demandé. Au cours de ces deux dernières années, il a joué dans les productions de Londres et de New York de cette pièce, ainsi que dans une tournée américaine. Bientôt, son rythme effréné l’a rattrapé. Trois semaines après le début de The Constant Nymph de Margaret Kennedy et Basil Dean en 1926, pièce dans laquelle il joue, Coward s'effondre sur scène. Sur l'insistance de ses médecins, il doit sarrêter... Mais qui arrête Noël Coward? Surtout qu'il avait promis à Marie Tempest de lui écrire une comédie... Il tint sa promesse et acheva The Marquise () alors qu'il était en convalescence forcée. Quand la pièce a été terminée, il l’a envoyée en Angleterre et est revenu à New York à temps pour assister, avec lassitude résignée, la dernière représentation de sa pièce This Was a Man (). Et puis, il s'est moralement effondré. Laissons-lui la parole:

«Il n’y avait aucune raison pour moi de rester plus longtemps en Amérique, et je ne me sentais pas plus retourner dans le froid et l’humidité de Londres et de faire face à la distribution en répétitions de The Marquise (). J’en avais soudainement assez du théâtre et de tout ce qui s’y rattache, des villes, des immeubles et des gens, de la circulation effrénée. J’ai décidé que le temps était venu pour moi de partir, tout de suite loin de tous ceux que je connaissais et de tout ce qui m’était familier. Alors j’ai acheté rapidement, avant que ma détermination ne se refroidisse, visas passeport, inoculations typhoïdes, quelques nouvelles valises et un billet pour Hong Kong.

Cette décision aussi soudaine que drastique me fit sortir un peu de ma dépression nerveuse, et je partis à travers le continent avec Jack [Wilson – son directeur commercial et amant], qui, désapprouvant toute l’idée, insista au moins pour venir jusqu’à San Francisco avec moi. Il avait raison de désapprouver parce que j’étais en fait trop fatigué et hors de condition pour faire un si long voyage tout seul, mais je me suis disputé et j’ai insisté et finalement convaincu qu’il était temps de mourir ou de guérir. Si je ne faisais pas une pause et ne laissais pas un peu d’air frais entrer dans moi-même, je devrais probablement, dans quelques mois, entrer dans une maison de repos sombre dans un état d’effondrement nerveux complet. En allant vers ce bleu, cette aventure en elle-même me soutiendrait pour un peu de temps. J’étais entièrement préparé pour des jours, peut-être des semaines de solitude aiguë, avec de nouveaux regards et sons et climats, j’étais persuadé de réparer les trous qui s’élargissent rapidement dans mon tissu nerveux.

Enfin, le jour de Noël, dans la soirée, j’ai appareillé pour Hong Kong sur le President Pierce. Il faisait froid et brumeux et, à jour, le moment le plus misérable et le plus triste de ma vie. Des sirènes hurlaient et un groupe de musique, des cuivres, jouait. L’air était rempli de bruits forts et aigus, et des banderoles de papier coloré flottaient et s’étendaient entre le navire et le quai.

Se reconstruire du désespoir est difficile. Je trouve que maintenant ce n’est qu’avec la plus grande concentration que je peux me souvenir clairement d’un moment ou deux de la profonde tristesse dont j’ai souffert pendant ces sept jours sur le President Pierce entre San Francisco et Honolulu. Mon esprit est gris et ombragé comme la nébulosité sur une radiographie qui marque une zone malade. »

Noël Coward - Present Indicative (Biography and Autobiography) (1937)

 

Les nerfs de Noël étaient tellement éreintés qu'il délirait de fièvre au moment où il atteignit Hawaï. Là, des amis ont pris des dispositions pour qu'il prenne soin de lui, le séquestrant dans une maison de plage isolée pendant plusieurs semaines. Pendant ce repos bien mérité, il n'a écrit qu'un seul morceau, se précipitant sur la chanson mélancolique A Room With a View. Mais cette période lui a permis de se resourcer, de réfléchir sur la vie, sur le sens de la vie. Redonnons-lui la parole:

«Les gens, j’ai décidé, étaient «le danger». Les gens sont avides et prédateurs, et si vous leur donnez une chance, ils vous volent sans scrupules le cœur et l’âme sans vraiment le vouloir ou même le désirer. Faire mine d’un peu trop de personnalité, avoir un nom connu, se divertir un peu plus que la moyenne, et ils sont là, arrachant et saisissant, bruyant dans leurs demandes, drainant votre force pour ajouter un peu de carburant à leurs feux de joie sociaux. Puis, quand vient le temps où vous êtes fatigué et moins résistant, ils vous repoussent dans l’ombre, vous relèguent à la poussière et vous laissent au vestiaire comme un chapeau, autrefois prisé, mais qui n’est plus à la mode.

Je me suis souvenu de la Première chic et bondée de This Was a Man () à New York. Les trois quarts des personnes présentes, je les connaissais personnellement. Ils m’avaient submergé, dans le passé, avec leurs superlatifs et leurs compliments faciles. J’avais joué pour eux et chanté à leurs fêtes, leur permettant de m’utiliser avec fierté comme un nouveau lion qui rugissait avec facilité. Je me suis souvenu à quel point ils avaient quitté le théâtre à la hâte au moment où ils ont réalisé que la pièce n’était pas tout à fait à la hauteur de leurs attentes; incapables, à cause de bonnes manières, de faire face, ne fut-ce qu’une heure ou deux, à la possibilité de s’ennuyer. Il n’y avait aucune raison qu’ils restent. La plupart d’entre eux avaient payé leurs sièges et ils n’avaient aucune obligation envers moi ou la direction. Je ne ressentais aucune amertume à leur égard. Enfin, aucune amertume, au-delà de la prise de conscience de leur qualité, un avertissement de ce à quoi m’attendre si je continuais à échouer.

J’ai fait un tri dans ma tête. Certains avec leurs chemises de soirée, je les ai empilés soigneusement au bout de la véranda. De l’autre côté, quelques individus plus dimensionnels se sont assis à l’aise. Ceux-ci étaient un peu plus intelligents, plus fiables, et on pouvait compter sur certaines heures de camaraderie agréable à condition de ne pas trop leur demander ou laisser le fardeau de la connaissance peser trop lourd sur leurs épaules. Au centre de la pelouse, à l’ombre de l’eucalyptus, une demi-douzaine de personnages se sont déplacés dans le clair de lune. Ce sont mes amis et j’étais heureux qu’il y en ait autant. »

Noël Coward - Present Indicative (Biography and Autobiography) (1937)

 

Mais son repos pouvait être éternel. Tout le monde atttend son retour car à cette époque, il était devenu un des auteurs – et artiste au sens large – les plus en vogue de l’époque, même si bon nombre de ses pièces étaient jugées choquantes par ses nombreuses connotations sexuelles. Mais il ne quitta Hawai que quand il en jugea le moment opportun. Il avoua avoir longtemps gardé l'image de cette côte qui s'éloignait lorsque le Wilhelmina appareilla pour l'emmener vers New York.

«Au cours de l’année suivante, j’ai réalisé que mes troubles nerveux, mes fièvres et mes désespoirs, culminant dans ces semaines rajeunissantes à Honolulu, étaient survenus à un moment très opportun. J’ai découvert que j’avais besoin de chaque once de l’endurance morale et nerveuse que le repos avait déposée en moi.

Mes différentes retrouvailles se sont déroulées de façon satisfaisante. Jack et Gladys m’ont retrouvé à New York, tous deux paraissant beaucoup plus jeunes et plus gentils que lorsque je les avais quittés. L’Olympic, avec lequel Jack et moi avons navigué vers l’Angleterre, avait été repeint. (…) J’ai appris que The Marquise () avait ouvert en mon absence au Criterion Theatre et était un grand succès. Je m’y suis rendu la nuit de mon arrivée.

Noël Coward - Present Indicative (Biography and Autobiography) (1937)


Il a donc «découvert à son retour que The Marquise () avait été créé sans lui... Mais Coward était de retour, et l'aventure allait redémarrer! Enfin...

B.5) Difficile fin de décennie

Nous sommes, semble-t-il à ce qui pourrait être une tournant de la carrière de Coward. En 1927, Coward est un auteur dramatique reconnu, ayant écrit plus d’une douzaine de pièces. Comme nous venons de le voir, à Londres, deux d’entre elles – The Vortex () (1924) et Hay Fever () (1925) – ont connu un franc succès au box-office. Ses deux pièces suivantes produites à Londres – Easy Virtue () (1926) et The Marquise () (1927), ont connu un succès modeste, mais n’égalant en rien les deux précédentes.

Coward a alors écrit une nouvelle pièce, ayant la comédienne Madge Titheradge en tête pour le rôle principal de Janet Ebony. Il a plus tard admis qu’il n’avait pas été entièrement heureux de cette pièce malgré «quelques excellentes lignes et un vrai sens comique». Mais Madge Titheradge l'a aimée, tout comme le producteur Basil Dean. Coward se rappela plus tard: «La Première était angoissante à cause de l’une des actrices les plus âgées de la troupe, oubliant continuellement ses répliques, de sorte que les pauses qu’elle faisait en essayant de s’en souvenir, associées aux pauses intentionnelles que Basil Dean avait soigneusement répétées, amenaient la pièce comme à un arrêt complet!» Home Chat () (1927, 38 représentations) ouvre au Duke of York’s Theatre le 25 octobre 1927, dans une mise en scène de Dean. Elle a été mal reçue par la critique et le public, et ne s’est jouée que 38 représentations, fermant le 26 novembre. Mais il allait y avoir pire...

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Article du New York Times

Remontons un peu le temps... Pendant ses vacances à Alassio en Italie en 1921, Coward avait apprécié l’atmosphère du Combattente Club, avec «beaucoup de glamour, du champagne doux, un piano électrique, des guirlandes en papier et l’attirail habituel du carnaval latin». Mais il yavait surtour une attraction supplémentaire, un jeune homme très attrayant qui a attiré son attention et inspiré le héros ardent et romantique de Sirocco () (1927, 28 représentations). Il a écrit la pièce peu de temps après, mais elle est restée dans les tiroirs pendant six ans. Rappelons encore une fois qu’en 1921, Coward est encore peu connu, mais qu’à la fin de 1927, lorsque Sirocco () est finalement produit, il est célèbre suite, entre autres, grâce à deux importants succès: The Vortex () (1924) et Hay Fever () (1925). Mais l’année 1927 est moins brillante pour Coward. The Marquise () s’est joué avec un succès relatif pour 129 représentations et, pire, Home Chat () s’est joué seulement 38 fois. Basil Dean, qui a mis en scène ce dernier était désireux de mettre en scène cette pièce Sirocco () vieille de six ans, et Coward a accepté. Le spectacle ouvrit ses portes au Daly’s Theatre le 24 novembre 1927 et ferma ses portes le 17 décembre 1927, après 18 représentations.

Laissons la parole à Noël Coward - c'est un peu long mais tellement savoureux - au sujet de la Première de Sirocco ():

«Probablement personne non directement connecté avec ce théâtre ne pouvait apprécier pleinement la tension de cette terrible soirée. La Première de n’importe quelle pièce est assez inconfortable pour ceux qui sont intimement liés à elle.

Dans le cas de Sirocco, dès le mot «Go!» tout le monde a su que c’était une bataille perdue d’avance.

Le premier acte fut reçu avec une grande tristesse. Seul Ivor Novello reçut une belle ovation de la gallery [3ème balcon], lorsqu’il entra en scène. À part cela, il n’y eut qu’un silence oppressant. (…) L’auteure Gladys Bronwyn Stern débarqua dans ma loge et dit qu’elle était assise à l’arrière des stalls [places chics au parterre] et qu’il allait y avoir des ennuis.

Le visage de Jack [secrétaire et amant de Noël Coward] prit une teinte légèrement verdâtre, le menton de Gladys s’éleva si haut que j’eus peur qu’elle se torde le cou. Mère, inconsciente de la catastrophe imminente, fit signe à Mme Novello Davies à l’autre bout du théâtre, et le deuxième acte commença.

La tempête a éclaté pendant la scène d’amour d’Ivor Novelle avec Bunny Doble. La galerie criait de joie et faisait des bruits de succion quand il l’embrassait, et à partir de ce moment-là, elle ponctuait chaque ligne de sifflets et d’autres bruits d’animaux.

Le dernier acte a été un chaos du début jusqu’à la fin. La gallery, l’upper-circle [2ème balcon], et le pit [premiers rangs en bord de scène] hurlaient, tandis que les plus chics stalls, loges et dress-circle [1er balcon] chuchotaient et se taisaient. La plupart des répliques n’ont pas été entendues par le public. Ivor et Bunny et le reste des acteurs ont lutté avec acharnement, essayant de verrouiller leurs oreilles au bruit et de faire finir cette torture le plus rapidement possible.

Le rideau finit par tomber au milieu d’un tumulte sonore, et même Mère, légèrement sourde, fut forcée de réaliser que tout n’était pas tout à fait comme il se devait. Je me souviens qu’elle se tourna vers moi dans l’obscurité et me dit avec dépit: «C’est un échec?» Je répondis, sans ergoter, que c’était probablement l’échec le plus sanglant de l’histoire du théâtre anglais, et je me précipitai sur la scène pour saluer. Sans regarder une seule fois le public, j’ai suivi la ligne des acteurs jusqu’au centre, j’ai serré la main d’Ivor Novello, j’ai embrassé la main de Bunny Doble, j’ai tourné le dos au public et je suis reparti. Ceci, comme je m’y attendais, a fait exploser les huées. J’ai chuchoté à Basil que j’allais recommencer et qu’il devait lever le rideau et le garder levé jusqu’à ce que je lui donne le signal. Si nous avions un flop, j’étais déterminé à ce que ce soit un flop sanguinaire.

Je revins et me mis au centre, un peu devant Bunny et Ivor, m’inclinant et souriant en guise de remerciement à la plus vive colère que j’aie jamais entendue dans un théâtre. Ils m’ont crié dessus, ils m’ont hué. Ils ont crié, et crié, et crié… Les gens se levèrent dans les stalls et crièrent des protestations, et tout ceci a fait un vacarme indescriptible.

Ce fut certainement l’une des expériences les plus intéressantes de ma vie et, ma colère et mon mépris m’ayant réduit à un froid engourdissement, j’ai presque pu en profiter.

Je suis resté là pendant environ sept minutes jusqu’à ce que leurs larynx deviennent irrités et qu’ils soient à court de respiration. Et tout s’est un peu calmé. Puis quelqu’un a commencé à crier « Frances Doble »; cela a été repris et l’actrice s’est avancée, les larmes de sa récente scène émotionnelle séchant encore sur son visage. Dans un silence soudain, après ce qui avait été les premiers applaudissements amicaux tout au long de la soirée, Frances Doble dit d’une voix tremblante: «Mesdames et Messieurs, c’est le moment le plus heureux de ma vie.»

J’ai entendu un énorme gargouillement de désapprobation provenant d’Igor Novello derrière moi et j’ai éclaté de rire, ce qui a provoqué une nouvelle explosion de huées et de cris d’animaux. Bunny recula, le visage écarlate, et je signalai à Basil de baisser le rideau.

Le comportement d’Ivor tout au long de la soirée fut remarquable. (…) Il ne se plaignait de rien, n’attachait aucune responsabilité à personne et acceptait l’échec avec la même grâce avec laquelle il a toujours accepté le succès.

La soirée pour moi, cependant, n’était pas tout à fait terminée. Le pompier m’envoya un message dans la loge d’Ivor NOvello où nous étions tous en train de boire du champagne dans un état d’hystérie étourdie, pour me dire qu’il y avait une foule hostile à la sortie arrière [la sortie des artistes] et qu’il serait plus sage pour moi de partir par l’avant de la maison. Cette information a ravivé ma rage et je suis immédiatement monté à la porte de la scène. L’allée était bondée de gens qui criaient quand je suis apparu. Je les ai regardés un moment du haut des marches, affichant ce que j’espérais être une expression de mépris total, puis j’ai tracé mon chemin jusqu’à la voiture. Plusieurs d’entre eux m’ont craché dessus en passant, et le lendemain j’ai dû envoyer ma veste de soirée au nettoyeur.»

Noël Coward - Present Indicative (Biography and Autobiography) (1937)

 

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«This Year of Grace» - Broadway

Coward dira plus tard de ce flop: «Mon premier instinct fut de quitter l'Angleterre immédiatement, mais cela m’a semblé trop lâche et aussi trop gratifiant pour mes ennemis, dont le nombre avait alors gonflé dans mon esprit à pratiquement toute la population des îles britanniques

Après ce terrible échec, en janvier 1928, Coward joue dans la création londonienne de The Second Man (109 représentations) de S.N. Behman, un spectacle créé par la célèbre Theatre Guild - à laquelle nous avaons souvent fait référence - quelques mois auparavant à Broadway. Il y retrouve l'amour des spectateurs. Mais il n'y est qu'acteur.

Sa prochaine création sera une revue, This Year of Grace! () (1928, 315 représentations). Et ce sera un gros succès lors des Try-Out à Manchester puis à Londres avec ses 315 représentations au magnifique London Pavilion avant d'obtenir un beau succès à Broadway au Selwyn Theatre avec 157 représentations.

Bien sûr, cela n'était pas une pièce de théâtre écrite par Coward mais c'est un spectacle qu'il a conçu complètement et dans lequel on pouvait y entendre ses chansons. Après une années 1926 difficile de par la maladie et une année 1927 où il avait subi deux terribles flops, Coward revenait au succès.

B.6) Relativisons...

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Bitter Sweet

Attention, malgré toutes ces turbulances, en 1929, Noël Coward n'est pas à plaindre. Il est alors l'un des écrivains les mieux rémunérés au monde, avec un revenu annuel de 50.000£, soit plus de 3 millions d’euros actuels!

Coward a continué prospérer pendant la Grande Dépression, écrivant une succession de succès populaires, allant de shows spectaculaires à grande échelle jusqu’à des comédies intimes. Après This Year of Grace! (), Noël Coward va se lancer dans un spectacle du premier type, avec l'opérette Bitter Sweet () (1929, 697 représentations), sur une femme qui s'enfuit à Vienne avec son professeur de musique, où elle le voit mourir, assassiné par un noble jaloux. Même si ce spectacle ne se distingue pas par les célèbres dialogues cowardiens, Bitter Sweet () contient néanmoins quelques-unes des meilleures musiques de Coward. La soprano américaine Peggy Wood jouait dans la somptueuse production londonienne de Cochran, et la partition comprenait I’ll See You Again, If Love Were All et le trio osé Green Carnation. Ce fut la plus grande réussite, en nombre de représentations, du théâtre musical de Noël Coward.

Quand le show a atteint Broadway (1929, 159 représentations), la soprano anglaise Evelyn Laye (1900-96) a joué le rôle principal et Ziegfeld a produit le spectacle. La production de New York a eu la malchance d'ouvrir le 5 novembre 1929, quelques jours seulement après le krach boursier de 1929. Des critiques élogieuses ont permis de maintenir le spectacle, mais pendant quelques mois seulement. Bien que Coward (qui n'avait pas investi dans des actions) n'ait pas été directement affecté par la dépression qui a suivi, son défi était de trouver de nouvelles façons de attirer des spectateurs dans les salles.

Le spectacle a eu deux adaptations cinématographiques... La première en 1933, réalisée par Herbert Wilcox, n'a pas été un succès/ Son réalisateur en est conscient: «Ce devait être de ma faute, car une meilleure pièce musicale n'a sûrement jamais été écrite ... peut-être, cependant, l'histoire est un peu trop triste pour un film.» Le second film, en 1940 à la MGM, fut nettemet pire. Il était réalsié par W.S. Van Dyke et Noël Coward a détesté ce film... Il l'a vu par hazard à Hollywood et a déclaré:

«J'ai passé une nuit à Hollywood mais j'en ai profité en m'asseyant dans une salle de projection et en voyant le film... Aucune langue humaine ne pourrait décrire ce que font M. Victor Saville, Mlle Jeanette MacDonald et M. Nelson Eddy. C'est, à tous points de vue, de loin la pire film que j'aie jamais vu. MacDonald et Eddy chantent sans relâche du début à la fin, ressemblant respectivement à une valise en cuir brut et à un cheval à bascule. Sari ne vieillit jamais. 'Zigeuner' est un numéro de production déchirant avec des millions de danseurs hongrois. Miss M choisit de chanter "Ladies of the Town" et les deux chansons de Manon. Elle danse aussi un Can-Can! À un moment donné dans le Vieux Vienne, elle offre un cocktail à Carl! C'est la merde la plus vulgaire, la plus ennuyeuse et la plus vile que j'aie jamais vue de ma vie. C'est en Technicolor et les cheveux de Miss M deviennent de plus en plus rouges jusqu'à ce que vous ayez envie de crier. Oh là là, argent ou pas, j'aurais aimé qu'on interdise ce film.»

Noël Coward

 

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Private Lives
au phoenix theatre de Londres

Coward a continué à prospérer, même pendant les pires moments de la Grande Dépression qui a suivi le Krch boursier de 1929. Il jouissait d'un style de vie dont la plupart des gens ne pouvaient que rêver. Voyageur insatiable, il a entrepris une série de longs voyages pour échapper aux pressions du show business. Lors d'un séjour à Singapour en 1929, il se réveilla avec une image mentale de son amie de longue date, l'actrice Gertrude Lawrence, vêtue d'une robe blanche. Suite à cette «vision», en quelques jours, il termine la première ébauche de Private lives () (1930, 101 représentations), qui va s'avérer être le point culminant de leurs deux carrières. 

Cette comédie mordante impliquait Elyot et Amanda Chase, un couple divorcé querelleur qui se réunit en lune de miel avec de nouveaux conjoints, puis s'enfuit pour reprendre leur relation toujours tumultueuse. Coward et Lawrence ont partagé la vedette avec le tout jeune Laurence Olivier (dont c’est le premier rôle important - c'est le futur fondateur du National Theatre anglais). Ils ont joué devant des salles combles à Londres au Phoenix Theatre (101 représentations) et au Times Square Theatre (256 représentations) à Broadway. 

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Private Lives au Phoenix theatre de Londres: Laurence Olivier et Noël Coward

Pour éviter l'ennui, Coward a mis en place une politique de ne pas jouer plus de trois mois de représentations à Londres, et la même chose à New York. Peu importe comment les producteurs mendiaient des engagements plus longs, il s'en tint à ces limites pour le reste de sa carrière.

Mais la carrière de Noël Coward était loin de s’éteindre comme nous le verrons plus loin…