Trois rivales apprennent qu'elles aiment le même homme

ll fallait trois magnifiques comédiennes pour faire vivre ces personnages qui ne se rencontrent jamais. Leur jeu formidable, l’astucieux décor et la musique en parfaite concordance vous font entrer dans cette histoire comme dans un bon film.
Chassé-croisé dynamique et drôle, «Jalousie en trois mails» est à la fois une superbe performance et un moment de théâtre jubilatoire.


Comme les sorcières de "Macbeth", elles sont trois à faire bouillir leur marmite infernale -en l’occurrence, modernité oblige, leur boîte à message électronique. Ces modernes harpies se disputent âprement un homme, le "trophée" comme dit élégamment l’une d’elle, non sans se torturer l’une l’autre avec délectation.

Si un homme avait écrit ça, on l’aurait sans aucun doute taxé de misogynie réactionnaire. Le fait est que le texte est signé Esther Vilar (rien à voir avec le fondateur du Festival d’Avignon), auteur d’expression allemande née en Argentine, célèbre pour avoir commis dans les années 70 "L’Homme manipulé", un essai sur la domination des hommes par les femmes

Trois femmes, trois générations : la doyenne quinquagénaire Helen (Rosalia Cuevas) est aussi l’épouse légitime. Elle reçoit un mail de Yana (Cloé Xhauflaire), 35 ans, annonçant qu’elle est la maîtresse de son mari et qu’il s’apprête à quitter le logis conjugal. Pour prouver ses dires, Yana lui envoie la clé d’un petit local technique de l’immeuble par où Helen pourra observer les ébats adultères.

Ayant dûment constaté les faits, Helen garde la clé par devers elle et continue complaisamment à épier le nouveau "couple", jusqu’à ce qu’elle fasse savoir à sa rivale que le mari volage trompe derechef sa maîtresse avec une femme encore plus jeune, Iris (Carole Weyers). Laquelle des trois emportera le "morceau" ? Vous le saurez, en allant voir "Jalousie en trois mails", mis en scène par Daniel Hanssens.

Force nous est d’avouer que cette nouvelle production d’Argan 42 nous a moins convaincu que ses précédentes réalisations. Si les comédiennes servent loyalement leurs personnages respectifs, ceux-ci ne grandissent guère la gent féminine.

La pièce nous a semblé convenue et laborieuse, et le spectacle en lui-même terriblement statique. Les trois protagonistes restent confinées dans leurs sections respectives du plateau, du début à la fin de la représentation, comme dans une pièce radiophonique qui aurait été mal transposée à la scène.

Sans doute le sujet, la jalousie féminine, a-t-il été peu exploité au théâtre. Encore eût-il fallu y mettre quelque finesse et un peu d’épaisseur humaine, au-delà de la simple charge satirique. Ces trois "bonnes femmes", comme dirait Claude Chabrol, sont passablement hystériques et caricaturales, se résumant tout entières à leur envie de piquer le bonhomme de leur prochaine.

Mercredi, la salle du Centre culturel d’Uccle, où l’on notait la présence d’un taux inhabituellement élevé de femmes, a paru moyennement goûter cette comédie du ressentiment. Personnellement, à deux ou trois brefs instants près, elle nous a laissé de marbre.

La Libre Belgique - 19/3/2010 - Philip Tirard

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