" Michel Kacenelenbogen fait palpiter cette histoire simple et belle "
La libre Belgique - Philip Tirard

Ce spectacle est l'un de nos plus beaux coups de cœur. Il s'agit bien sûr de l'un des textes les plus poignants d'Eric-Emmanuel Schmitt mais ce qui nous semble fantastique, c'est que, malgré l'émotion omniprésente, l'on passe son temps à rire. On doit cette alchimie réussie à deux artistes: Michel Kacenelenbogen, le comédien, et Olivier Massart, le metteur en scène.


Michel Kacenelenbogen fait palpiter la rencontre entre Momo et Monsieur Ibrahim, l'épicier musulman. Un seul en scène plein d'humour et d'émotion.

Au-delà de la beauté classique de sa langue, Eric-Emmanuel Schmitt doit certainement son phénoménal succès à l'authenticité de l'humanisme chrétien qui imprègne ses pièces, ses récits et ses romans. Le public lui sait gré d'une espérance militante, d'une croyance viscérale dans la possibilité de communiquer, au coeur d'une époque sceptique et déprimée où l'on constate chaque jour les ravages du mépris, de l'arrogance, de l'indifférence et de l'intolérance. Mercredi soir, au terme de la première bruxelloise de «Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran» - le spectacle s'est déjà donné pendant trois semaines le mois dernier, dans une scénographie réduite, au Théâtre de la Valette à Ittre -, les spectateurs ont ovationné le seul en scène de Michel Kacenelenbogen et se sont levés pour applaudir l'auteur. Visiblement, une part de l'opinion occidentale veut encore croire à une possible tolérance entre les trois monothéismes...

«Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran» se présente en effet comme un antidote contre un irrespirable air du temps où s'opposent, sans alternative et sans merci, terrorisme islamiste et tentations de l'extrême droite. Ecrit et publié bien avant l'attentat new-yorkais du 11 septembre 2001, ce récit n'était pas destiné au théâtre, mais se rattache à ce «cycle de l'invisible» dans lequel l'auteur range également «Milarepa» ou «Oscar et la dame rose».

«Il y a des textes qu'on porte si naturellement en soi qu'on ne se rend même pas compte de leur importance, commente l'écrivain sur son site Internet. On les écrit comme on respire. On les expire plus qu'on ne les compose.» Et c'est tout aussi «naturellement» que «Monsieur Ibrahim» s'est trouvé traduit en de nombreuses langues, joué au théâtre depuis 1999 et adapté au cinéma, avec Omar Sharif dans le rôle titre.

Délaissé par un père qui noie sa dépression dans l'étude livresque, un enfant du quartier juif de Paris s'attache à un épicier musulman adepte du soufisme, tendance mystique de l'islam remontant au VIIIe siècle, encore vivace aujourd'hui, notamment dans la pratique des derviches tourneurs. Entre le vieil homme et l'enfant, dans le Montmartre des années 60, naît une amitié et s'instaure la transmission d'une religiosité intérieure.

Don d'enfance

Mis en scène par Olivier Massart, dans une scénographie dépouillée mais puissamment allusive d'Olivier Waterkeyn - un plateau circulaire agrémenté d'une colonne Morris et d'un banc en forme de croissant de lune -, Michel Kacenelenbogen fait palpiter cette histoire simple et belle avec un don d'enfance qu'on ne lui avait pas encore vu en scène. Capté dès les premières syllabes, le public ne décroche plus pendant cette heure et demie au cours de laquelle Momo entre dans sa vie d'homme et Monsieur Ibrahim arrive au terme de la sienne.

Belles mais ô combien fragiles, ces fleurs du Coran méritent assurément qu'on les admire et les respire.

La Libre Belgique - 12/5/2006 - Philip Tirard

Retour à la page précédente