La vraie vie de Sissi

Une impératrice solitaire qui se bat pour l'amour - Une femme passionnée qui risque tout pour la liberté
Le musical ELISABETH retrace la vie de l'Impératrice Elisabeth - la légendaire et mythique Sissi - de ses 15 ans à son assassinat à Genève en 1898. Son histoire nous est racontée sans complaisance par son assassin, l'anarchiste Luigi Lucheni. L'histoire fascinante de cette femme qui a cru qu'il lui était possible d'être libre tout en étant l'impératrice de l'Empire austro-hongrois, ce grand bateau qui n'allait pas tarder à sombrer.

★★★★★ Douze millions de spectateurs dans le monde


«Le monde est un bateau. Et le bateau coule»


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En robe à crinoline noir et blanc aux manches courtes enserrées de rubans, collier de perles à double rang autour du cou, Marie-Pierre de Brienne descend prudemment, en retroussant l'épais tissu, les quelques marches qui la sépare de la scène installée dans la vaste cour du château du Karreveld, à Molenbeek-Saint-Jean. Cet été, du 11 juillet au 25 août, cette jeune comédienne-chanteuse originaire de Montréal sera l'impératrice Élisabeth, la légendaire Sissi, dans la comédie musicale Élisabeth présentée dans le cadre du 24e festival Bruxellons ! Créé à Vienne en 1992 par Michael Kunze et Silvester Levay, ce musical applaudi par 12 millions de spectateurs à travers le monde est, aujourd'hui, pour la première fois, adapté et traduit en français.

Dix-sept changements de costume pour Élisabeth
Sous un soleil qui joue à cache-cache avec les nuages, cette après-midi-là est consacrée aux vérifications du son – l'orchestre live est constitué de 17 musiciens sous la direction de Laure Campion – et à l'essayage de certaines robes d'Élisabeth. C'est que Marie-Pierre de Brienne doit changer pas moins de… 17 fois de costume ! "Ça ne me stresse pas, sourit-elle. J'ai commencé la comédie musicale à l'âge de 7 ans. Ce n'est pas la première fois que je fais des changements rapides. On pense que c'est impossible jusqu'au dernier moment, et puis la magie opère. Mais c'est vrai que cela demande beaucoup de minutie, de patience, d'amour et d'humanité."

Avec 17 musiciens, plus de 220 costumes et une trentaine d'artistes (comédiens-chanteurs et danseurs) sur scène, Élisabeth, sixième comédie musicale créée à Bruxellons ! après Blood Brothers, My Fair Lady, Sunset Boulevard…, est "la plus grosse production qu'on ait eue", précise Jack Cooper, co-producteur du festival et co-metteur en scène. "Tout va être réglé au millimètre près", assure-t-il, car la logistique est énorme. "En coulisses, il y aura neuf habilleuses, maquilleuses… pour aider les artistes à se changer." "Les changements sont très rapides", confirme Béatrice Guilleaume, qui a passé un nombre "incalculable" d'heures à confectionner et arranger les costumes (robes, jupons, chemises de nuit, vestes…). "Donc j'ai dû mettre beaucoup de tirettes, en essayant qu'elle soient le plus discrètes possible pour préserver l'authenticité des costumes", qui traversent deux périodes "tout à fait typiques" de l'époque : 1860-1870 avec les crinolines et 1880-1890 avec les "culs de Paris".

“Un grand spectacle familial”
Ce spectacle historique retrace, en effet, la vie de l'impératrice d'Autriche depuis ses fiançailles et son mariage avec François-Joseph en 1854 à son assassinat à Genève en 1898 par l'anarchiste italien Luigi Lucheni. Ne vous attendez toutefois pas à retrouver sur la scène du Karreveld l'ambiance édulcorée et romantique de la série de films (1955-1957) d'Ernst Marischka avec Romy Schneider. L'œuvre ici proposée se veut davantage en phase avec la réalité historique. "Les films Sissi ne respectent pas l'Histoire, explique Simon Paco, à la mise en scène. À leur sortie, ils avaient pour but de redorer l'image des pays germanophones à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Il s'agissait donc d'insuffler du romantisme, de la beauté pour oublier la trace noire qui s'était étalée sur l'Allemagne; mais aussi sur l'Autriche." A contrario, "les deux auteurs d'Élisabeth ont cherché à démontrer la montée des extrêmes en Autriche, en Hongrie, en Allemagne, etc., à travers ce personnage parce que, au-delà de suivre la vie de Sissi, on suit aussi tout ce qui précède la Première Guerre mondiale et, donc, la chute de l'empire des Habsbourg."

"À côté de cela, enchaîne Jack Cooper, cela reste un grand spectacle familial, car les gens vont retrouver les costumes d'époque, de la grande musique – c'est, musicalement, l'une de nos comédies musicales les plus ambitieuses –, mais sous un angle d'attaque historiquement plus juste."

Des biographies souvent stigmatisantes
S'imprégner de ce pan historique et géopolitique dense aura nécessité un gros travail de préparation en amont du spectacle. "Olivier Moerens (coproducteur de Bruxellons !, NdlR) a réalisé un énorme travail dramaturgique littéraire et historique qu'il a livré à l'équipe créative pendant six jours, reprend le metteur en scène. C'était passionnant et important de pouvoir nourrir les comédiens." Parallèlement,"j'ai lu une pile de biographies sur Sissi, raconte Marie-Pierre de Brienne, et je me suis rendu compte qu'elles étaient majoritairement écrites par des hommes blancs, cisgenres". "Je trouvais, poursuit-elle, qu'il y avait beaucoup d'a priori négatifs, de stigmatisation autour de ce personnage : elle était 'hystérique' de vouloir éduquer ses enfants, 'complètement folle' de vouloir voyager et d'être libre… Jusqu'à ce que je lise la bio écrite par sa dernière dame d'honneur, Irma Sztaray. J'ai trouvé ce portrait beaucoup plus humain et réaliste. Ça a réellement été mon pivot parce que j'ai reconnu un être humain et pas un cliché."

Pour interpréter Élisabeth, "j'avais donc envie de lui donner un peu de la femme qu'on pourrait rencontrer en 2022, de la ramener à quelque chose de moins grandiose, de moins 'Broadway style' et de plus humain", détaille la chanteuse et comédienne. "Grâce à la proposition de Marie-Pierre, si on zoome sur une scène du spectacle, que ce soit une scène d'amour, une dispute, etc., les spectateurs pourront, à plein de moments, s'y reconnaître, se réjouit Jack Cooper. Ce qui ne serait certainement pas le cas si on en faisait un spectacle tonitruant où il n'y aurait que le chant sans toute l'interprétation derrière. Ce que l'on veut surtout, c'est raconter une histoire, sinon on ferait un concert."

Impératrice et rebelle
À 23 ans, François-Joseph régnait déjà depuis cinq ans sur l’empire des Habsbourg. Il était temps qu’il se marie. Sa mère, Sophie de Bavière, décida de s’en occuper. Elle jeta son dévolu sur l’une de ses nièces, Hélène de Wittelsbach : elle a 18 ans, elle est jolie, intelligente, bien élevée. Le jeune Empereur se conforme comme d’habitude aux désirs de sa mère. Les fiançailles seraient officiellement annoncées dans la jolie station thermale de Bad Ischl, près de Vienne, où la famille impériale passe chaque année ses vacances.

À la veille de s’y rendre, la mère d’Hélène décide d’amener aussi sa seconde fille, Élisabeth, âgée de 15 ans, surnommée Sissi. À leur arrivée à Bad Ischl, le 16 août 1853, dans l’après-midi, un goûter leur est servi. Hélène est placée à côté de l’Empereur pour leur permettre de faire mieux connaissance. Sissi, elle, est reléguée en bout de table, avec sa gouvernante. Bientôt, elle se sent observée par François- Joseph, qui n’a bientôt d’yeux que pour elle. Et en qui elle vient de susciter une passion foudroyante, comme l’écrit Jean des Cars dans son histoire du couple impérial (Perrin, 2017). Deux jours plus tard, le 18 août, l’Empereur annonce à sa mère que c’est Sissi et non Hélène qu’il veut épouser. Le mariage sera célébré à Vienne, le 24 avril 1854. La nouvelle impératrice a 16 ans.

Un oiseau en cage
Être impératrice à 16 ans, c’est être un oiseau en cage. Dorée, sans doute, mais dont un cérémonial séculaire, un protocole impérieux sont les barreaux. François-Joseph, élevé à la Cour, s’en accommode. Sissi, élevée dans un château champêtre sur le lac de Starnberg, est une petite sauvageonne, qui, outre le carcan des traditions, devra subir pendant des années la présence d’une belle-mère qui ne comprend rien à une belle-fille qui n’aime rien tant que galoper à cheval ou s’entourer de ses chiens.

En 1855, Sissi a son premier enfant, Sophie (le prénom de sa belle-mère !), qui mourra deux ans plus tard. Suivront Gisèle en 1856 et Rodolphe en 1858. Mais son mal-être ne s’arrange pas. Bientôt, elle va se livrer à d’épuisantes sorties équestres, à des exercices de gymnastique torturants pour garder la forme, à des régimes diététiques aberrants pour ne pas dépasser les 50 kg (pour 1,72 m). Bref, elle s’accommode mal d’un statut officiel qui brime son désir d’indépendance.

Une vie de vagabonde
En 1860, coup de tonnerre : en quête d'un lieu où échapper aux critiques et médisances, Sissi embarque à Anvers pour l'île de Madère et y reste six mois ! Sans mari, sans enfants, qui fêteront la Noël sans elle. C'est le début de quarante ans de voyages, de croisières (Palerme, Tanger), de semaines de chasse en Angleterre, de séjours au château baroque de Gödöllö – un cadeau des Hongrois pour la remercier de la part qu'elle a prise dans le statut d'indépendance qui leur a été accordé dans le cadre de la double monarchie instaurée en 1867 : impératrice d'Autriche, elle devient alors reine de Hongrie – ou dans l'île de Corfou, où elle a fait construire un palais de marbre blanc baptisé Achilléon en l'honneur du célèbre guerrier de l'Iliade.

François-Joseph en souffre. Il la supplie de lui réserver un temps de présence. Il paie ses dépenses. Il attend ses retours. Elle revient, mais repart. Finissant par prendre conscience de la solitude qu'elle impose à son mari, elle lui trouve une "amie", Katharina Schratt, 28 ans, comédienne au Burgtheater. Installée dans une villa à Schoenbrunn, elle accompagne l'Empereur l'après-midi dans ses promenades rituelles dans le parc. À l'absente, François-Joseph écrit : "Puisque je ne sais pas suffisamment te le montrer et que cela te semblerait ennuyeux, j'aimerais te dire que je t'aime infiniment." Étrange ménage à trois, mais rien ne permet à ce jour d'établir qu'il y eût une véritable "liaison" entre l'Empereur et la comédienne.

Coup de poignard fatal
Quoi qu'il en soit, c'est en homme dévasté que François-Joseph apprendra à Schoenbrunn, le 10 septembre 1899, que l'Impératrice a été poignardée à Genève par un anarchiste italien, Luigi Lucheni, et qu'elle est décédée. Au comte Paar, premier aide de camp qui s'était chargé de lui apporter la nouvelle, l'Empereur, effondré, murmura : "Nul ne saura combien nous nous sommes aimés."

Stéphanie Bocart et Jacques Franck - La Libre Belgique - 6 juillet 2022

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