Deux hommes se font face…

Le théâtre de Nathalie Sarraute porte sur l’invivable, sur ce qu’en général on évite de remarquer ou que l’on tait. Il fait entendre sur scène ce que d’ordinaire on ne veut pas entendre. Théâtre de l’aveu, de l’impudeur à force de tourner autour, de pointer du doigt tout ce qui, habituellement, est tu. C’est le scandale. Ces courtes pièces sont construites comme des mécanismes. La mise en route - on pourrait dire la mise à feu - se déclenche à cause d’un détail.

Dix-neuf ans après, Alexandre von Sivers et Daniel Hanssens reprennent leur interprétation de Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Deux qrands comédiens nous engouffrent dans les failles du langage, dans un décor Spartiate, laissant toute la place au mystère du jeu et du verbe. Court, net, immense!


Deux hommes, deux amis se retrouvent.
Rencontre amicale ou occasion de vider un contentieux ?
Tour à tour, ils s’affrontent et se déchirent.
Successivement dominant ou dominé, ils vont décortiquer l’amitié, éplucher les phrases (mêmes celles d’apparence anodine), soupeser chaque mot, chercher une valeur cachée au moindre chaque geste.
Étrange et fascinante joute oratoire, Pour un oui ou pour un non nous plonge dans un malaise ambiant teinté d’une belle dose d’humour.
Ces phrases reprochées, ces intonations perçues comme blessantes, ces silences considérés comme réprobateurs, ces offres généreuses prises pour condescendantes nous parlent, font partie intégrante de nous-mêmes, de nos souvenirs, de nos mémoires.
Nathalie Sarraute n’a rien inventé, elle a tout simplement l’art d’utiliser nos non-dits, nos différences, nos espoirs, nos intolérances et nos jalousies pour explorer le lien fragile de l’amitié.
Tout le piment de son texte est qu’il s’adapte à chaque instant de la vie, à chaque relation et résonne profondément en chacun de nous.
Elle oppose ici un artiste solitaire et contemplatif (Alexandre Von Sivers) à un père de famille, heureux en ménage à la situation aisée (Daniel Hanssens).
Les deux hommes deviennent des jongleurs de mots, des fouilleurs de sentiments.
Dans un huis clos intense, ils tentent de sérier, d’évaluer, de récupérer l’autre.
La mise en scène de Daniel Hanssens privilégie la force du jeu et des regards.
Il a opté pour une scénographie qui place les deux comédiens au milieu du public, qui les montre comme deux gladiateurs en plein round d’observation, comme deux vieux lions en train de s’épier. Si cette dernière nous permet de s’identifier tour à tour à l’un ou à l’autre au gré de nos perceptions, elle nous prive du plaisir de pouvoir contempler en permanence le travail de ces deux formidables acteurs.
Sobrement, sans un mouvement inutile Alexandre von Sivers et Daniel Hanssens vont opposer leur conception du bonheur, de la vie.
Ils prennent leur temps, ils laissent peser les silences, s’envoler les ironies, résonner les souffrances.
Court (55minutes) mais intense spectacle, Pour un oui ou pour un non est un petit bijou de subtilité et de rhétorique qui séduit par ses mots et ses non-dits et laisse flotter un trouble étrange, dérangeant et séduisant longtemps après que les spots se soient éteints.
Passionnant et troublant.

Muriel Hublet - Plaisir d'offrir - 11/9/2009

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