Prix de la Critique 2016 – Meilleur Seul en scène

Cinq ans auparavant, il tue sa femme. Dans cette autobiographie, un des plus grands esprits de son temps, Louis Althusser, interprété par Angelo Bison, tente, mais en vain, de comprendre avec une honnêteté effarante un geste à jamais incompréhensible. Une performance à la frontière entre folie et hyper-conscience. À la place fragile où, en réalité, sont tous les Hommes. Ce spectacle a reçu le Prix de la critique du meilleur seul en scène 2016.


C’est l’adaptation d’une longue confession d’un philosophe marxiste, une des coqueluches parisiennes des années 70.
Il a tué sa femme dans une crise de folie, en 1980. Aussitôt interné dans un asile, il bénéficie d’un "non-lieu" qui le prive d’un procès. Quand il sort, 2 ans plus tard, il regrette l’absence de procès qui lui aurait permis d’être responsable de sa vie, face à des jurés et de retrouver son identité. La longue confession, 350 pages résumées en 1 H 30 par les soins de Michel Bernard, metteur en scène, n’a jamais été publiée de son vivant.
Son intérêt dépasse l’anecdote historique et nous plonge dans un enfer existentiel : que se passe-t-il dans la tête d’un individu que son intelligence est supposée préserver des tentations du meurtre? Aucun plaidoyer mais une plongée, sans complaisance, dans les gouffres d’un dépressif chronique.
Pourquoi a-t-il tué Hélène, la femme qui l’avait sauvé d’une incapacité à nouer une relation physique avec les femmes? Aucune réponse puisque de son acte il n’aperçoit que le résultat, la mort d’un être aimé sans en expliquer la cause immédiate. Mais les étapes de cette folie meurtrière sont décrites avec une précision clinique, de la mère abusive à la relation ambigüe à Hélène, mélange d’attraction et de répulsion, avec les cruautés répugnantes infligées à la victime et les séjours en hôpital psychiatrique, à une époque où on croyait guérir les dépressifs chroniques par électrochocs.
Angelo Bison interprétant Althusser est au sommet de ses capacités scéniques. Il doit " défendre " un personnage peu sympathique, incarner un fou sans tomber dans la caricature ou l’emphase d’un plaidoyer de Cour d’assises. Le metteur en scène Michel Bernard a su le "cadrer" au plus juste de son expressivité : assis sur un petit tabouret, il se raconte sobrement laissant affleurer les grondements sourds de la folie. Son visage, intense, douloureux, inquiétant nous fait passer par toutes les couleurs de l’émotion.

Christian Jade - RTBF

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