Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Nouvelle étape dans les relations entre Wagner et Louis II: le roi exige pour l'été 1869 la création de L'or du Rhin, premier volet de la tétralogie de L'anneau du Nibelung. Si le souverain a viscéralement besoin de l'art de l'Ami, ce dernier estime que les conditions ne sont pas réunies pour offrir un spectacle parfait et, refusant de se rendre à Munich, charge le chef Hans Richter de l'y représenter. De fait, la générale est un échec malgré l'enthousiasme de Louis. Les heurts entre les dirigeants de l'opéra et Richter se multiplient tandis que le roi demeure inflexible, imposant la représentation publique de l'œuvre dont il a acheté les droits dès 1864. Ordre est donc donné de faire plier chef et chanteurs pour qu'ils se conforment à sa volonté. Wagner commence à redouter les effets d'une telle détermination et arrive finalement en Bavière le 1er septembre afin de circonvenir le roi. Peine perdue, car Louis est reparti dans son chalet de haute montagne. Le 9, Richter est démis de ses fonctions et est remplacé par un certain Wüllner auquel Wagner écrit afin de lui interdire d'oser seulement poser les mains sur ses partitions. L'or du Rhin est néanmoins créé avec succès le 22 septembre, ce qui irrite le compositeur qui rompt tout lien avec Louis II. Le roi demande alors à l'Ami de comprendre son impatience tandis que Wagner, à la limite du chantage, conditionne la poursuite de leur relation à la création de l'ensemble de L'anneau dans le sens qu'il a toujours désiré pour son œuvre : Richard croit avoir repris l'ascendant, mais ignore que Louis a déjà donné ses instructions pour entamer la préparation de La Walkyrie.

L'année 1869 est également le prélude à de nouveaux bouleversements en Europe. Jugé trop proche de la Prusse, le premier ministre Hohenlohe est malmené par les conservateurs. Préférant pour sa part complaire un peu à Berlin plutôt que de tout lui céder, Louis II soutient Hohenlohe pour lequel il nourrit au demeurant une estime réelle, car il a la qualité rare dans le milieu de la Cour de parler à son souverain avec franchise et honnêteté et si Louis est roi de Bavière et entend défendre l'indépendance de son royaume, il sait également être attentif aux conseils visant au bien de l'État et du peuple.

Nohenlohe est néanmoins contraint de présenter sa démission : le roi la refuse, si bien que l'affaire est portée devant la chambre haute du parlement, encore plus hostile. Il ne reste plus au roi qu'à dissoudre les assemblées, mais les élections ne font que renforcer le courant antiprussien qui accuse le monarque de collusion avec Berlin alors que le seul souci de Louis est précisément d'éviter la mise sous tutelle du pays. En mars 1870, le prince de Hohenlohe qui sera plus tard chancelier du kaiser Guillaume II démissionne au terme de cette crise qui n'est que le dernier remugle de 1866, vite relégué aux oubliettes par la question de l'unité allemande qui ne peut plus se faire qu'au détriment de l'influence française.

Pour prix de sa neutralité lors de la guerre austro-prussienne, l'empereur Napoléon III tablait sur des discussions informelles avec Bismarck et avait espéré faire main basse sur la rive gauche du Rhin, Belgique et Luxembourg inclus, ce à quoi la Prusse s'était finalement toujours refusé, inaugurant une dégradation des relations franco-allemandes. Aussi, quand Paris apprend la candidature d'un Hohenzollern au trône d'Espagne, la France qui craint un encerclement entre Rhin et Pyrénées exige du roi de Prusse Guillaume 1er qui est également un Hohenzollern un renoncement définitif de sa famille à toute prétention en la matière.

Les demandes insistantes et peu diplomatiques de Paris conduisent ainsi à l'affaire de la "Dépêche d'Ems" qui, savamment abrégée par Bismarck et diffusée à la presse, sonne comme une injonction humiliante à l'adresse du roi Guillaume. En France, on crie à la manipulation, au scandale et on mobilise.

Par le traité de 1866, la Bavière devenait alliée de la Prusse si celle-ci venait à être agressée, ce qui semble le cas en 1870 alors qu'en réalité, la manœuvre de Bismarck fait plonger la France dans un piège béant tandis que la Prusse cristallise l'idée de défense du sentiment allemand.

Louis II se refuse à une guerre forcée contre un pays qui n'est pas son ennemi et dont il apprécie la culture et l'histoire. De manière plus pragmatique, le roi sait que même sa neutralité serait considérée comme une trahison, y compris par des Bavarois submergés par un sentiment nationaliste nouveau. Reste donc à faire ce qu'exige le bon sens. Il n'en demeure pas moins que, dans la nuit du 15 au 16 juillet 1870, il faut encore sept heures de palabres aux ministres pour vaincre l'ultime résistance du roi qui finalement signe l'ordre de mobilisation générale.

Acclamé le soir même par une foule prise d'une ferveur frénétique, Louis assiste à une représentation de La Walkyrie que Wagner a refusé de cautionner et qui prend des accents particuliers au moment où l'Allemagne commence à percevoir l'émergence de sa propre puissance.

Le 17 juillet, la France déclare la guerre. Le 25, Frédéric, héritier du trône de Prusse que Louis déteste, arrive à Munich pour prendre le commandement de l'armée bavaroise. Mais que l'on n'en demande pas plus à Louis dans ce conflit au moment où il quitte sa capitale pour, dans l'éther des Alpes, s'éloigner du parfum de la mort.

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