Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Avec le départ de Sophie qui n'a été qu'un pis-aller durant l'absence du Maître, nombreux sont ceux qui craignent le regain d'influence de Wagner. Or, le compositeur regagne la Suisse tandis que son mécène, fuyant les regards inquisiteurs, s'isole dans la si chère nature alpestre. Divers événements séparent d'ailleurs rapidement Richard et Louis. En effet, fin 1867, Wagner fait paraître une série d'articles dans lesquels il glorifie les grands souverains allemands protecteurs des arts avant de se lancer dans une violente diatribe contre l'Église, ce qui mécontente Louis qui, étant lui-même très pieux, se sait monarque d'une nation catholique.

En outre, le nouveau secrétaire de la Cour Lorenz von Düfflipp qui contrairement à son prédécesseur Pfistermeister ne nourrit guère le goût de l'intrigue et se veut un serviteur honnête de son roi parvient à ouvrir les yeux de Louis sur la nature exacte des liens entre Richard et Cosima. Plus vraisemblablement, le roi sans se l'avouer réellement sait depuis un certain temps à quoi s'en tenir quand le 13 décembre, il écrit à l'Ami pour l'inviter avec tact à ne plus rien faire qui pourrait alimenter la critique à propos de cette situation qui perdure depuis trois ans.

S'ensuit une longue période sans la moindre lettre, mais n'y tenant plus, Louis reprend la plume à l'approche du printemps, préférant ignorer la situation conjugale des Bülow afin de ne pas mettre en péril la création tant attendue des Maîtres-chanteurs de Nuremberg.

Si le règne de Louis II se voulait un nouvel âge d'or, le jeune souverain a dû en peu de temps faire face à la mesquinerie, aux intrigues, à la guerre, à un mariage raté et à la désillusion avec en trame de fond la perspective de voir disparaître son trône dans les aléas de la grande politique. Dès lors, c'est dans les montagnes, dans le reflet des eaux lacustres, qu'il donne forme à son idéal de beauté et de pureté.

Mil huit cent soixante-huit. Louis fait part de son intention de relever les ruines d'un vieux burg situé sur un piton rocheux à quelque distance de Hohenschwangau : ce château qui ne porte pas encore le nom de Neuschwanstein, éternelle incarnation de l'idéal romantique allemand, se veut avant tout un temple dédié à la gloire de l'Antique Germanie et aux œuvres de son chantre, Richard Wagner.imultanément, le roi est à nouveau happé par l'opéra avec la création des Maîtres-chanteurs, le 21 juin. Dès le début de la représentation, faisant fi de l'étiquette, Louis II prie Wagner de venir assister dans sa loge à la représentation, marque d'un indéfectible soutien qui prélude au triomphe de l'œuvre érigée au rang d'opéra national bavarois.

Alors que débutent les travaux du chantier du nouveau château de Hohenschwangau, le roi, fidèle au goût des Wittelsbach pour le voyage, fait réaliser sur les toits de la Residenz de Munich une gigantesque structure de métal et de verre destinée à abriter son premier refuge, sorte de vaste jardin d'hiver à la mode orientale. Ce lieu sera plus tard le cadre d'une piquante anecdote quand l'une des innombrables théâtreuses que l'on croit bon d'envoyer au monarque fera croire à une chute dans l'étang qui y est aménagé dans l'espoir d'être secourue par le roi qui, loin d'être dupe, recommandera à ses domestiques de repêcher cet étrange poisson. Tous ceux qui découvrent cet îlot de luxuriance en retirent une vive impression qui confine au fantastique quand ils ont la chance de pouvoir emprunter la nacelle d'or tirée sur la pièce d'eau par un cygne, symbole omniprésent jusque dans ce rêve tropical.

Le cygne, Lohengrin : tout ramène le roi à la construction de son vaisseau de grès et de marbre blanc. Pourtant, dès novembre, il songe à un nouveau projet destiné à concrétiser sa passion croissante pour la monarchie française du Grand Siècle. Louis a besoin d'un autre Trianon, d'un autre Versailles. Linderhof et Herrenchiemsee vont surgir de terre.

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