Emotion, signée Thierry Debroux

Le Roi Lune de Thierry Debroux redonne vie à un des personnages mythiques de l'histoire de l'Europe. Un de ces hommes né à une époque qui n'est pas la sienne et qui refuse de se soumettre à l'air de son temps. Son seul et unique moteur? La passion. Il aime le beau, l'art. Et il va mettre une énergie considérable, tant humaine que financière, au service de Richard Wagner, son ami, afin qu'il puisse créer librement ses opéras grandioses. Il mourra seul, fou, suicidé dans cinquante centimètre d'eau, sur le bord d'un lac.


Mil huit cent soixante-six. Année charnière de l'histoire allemande dans un XIXe siècle qui n'est que l'inéluctable évolution depuis feu le Saint Empire vers le nouveau Reich. Entre les deux puissances hégémoniques que sont la Prusse et l'Autriche, le conflit armé semble n'être qu'une question de temps et l'union forcée dans la guerre des duchés, une mèche pour la poudrière. Conscient de cette douleur qu'il inflige involontairement et poussé par l'exemple de ses amis, Louis surgit au petit matin dans la chambre de sa mère Marie de Prusse afin qu'elle demande pour lui la main de Sophie au duc Max en Bavière.

Au même instant, Richard Wagner est le premier averti de la nouvelle par un télégramme personnel du roi. Sophie de Wittelsbach accepte et le soir même, lors d'une représentation théâtrale, Louis de son propre chef installe sa fiancée à ses côtés dans la loge royale, annonçant par ce signe clair l'événement à tout Munich.

L'allégresse est générale devant un couple si beau. Trop beau. Dès le début, Louis perçoit ce mariage comme s'il s'agissait encore et toujours d'un opéra, allant jusqu'à n'appeler sa fiancée qu'à l'aide de pseudonymes tirés des œuvres de Wagner. Elle est Elsa, il est Lohengrin. Car Sophie donne le change, d'abord par goût, plus tard pour tenter de conserver son fiancé.

L'intérêt très platonique de Louis pour Sophie se traduit une nouvelle fois par un lyrisme exacerbé auquel la jeune fille ne parvient plus à donner la réplique. À toute heure du jour ou de la nuit, des écuyers apportent lettres, fleurs et cadeaux, mais plus la date du mariage fixée au 25 août approche, plus Louis devient insaisissable et absent. L'un et l'autre pressentent qu'ils vont au devant d'une erreur.

Le 6 mai, Louis fait la connaissance d'un certain Richard Hornig, un jeune homme de son âge qui est le fils du responsable des haras royaux. Dès ce jour, ce second Richard avec lequel il entretient des relations amitié-amour indistinctes occupe la place qui était celle de Paul de Tour-et-Tassis. Ils partent ainsi tous deux pour l'exposition universelle de Paris où le roi se passionne pour toutes les innovations techniques comme l'ascenseur. Ce voyage est également l'occasion d'assouvir sa double passion pour l'histoire de France et les réalisations architecturales, tel Pierrefonds.

Auprès du couple impérial français, Louis II s'acquitte à la perfection de ses devoirs de monarque autant qu'il intéresse la gent féminine. Mais Louis n'aime une femme que si elle relève de l'inaccessible, de l'onirique et plus que tout, il redoute la réalité physique qu'impose une vie de couple pleine et entière. Cette vision lui paraît comme une corruption du rêve et de la pureté, si bien que quand il doit rentrer précipitamment en Bavière en raison du décès de son oncle Othon, Louis s'empresse de repousser la date du mariage.

Suite à ce report, le duc Max lance un véritable ultimatum à son propre souverain pour qu'il se prononce définitivement, quitte à délier Sophie de son engagement. Le roi n'a simplement pas envie de se marier et ce qu'il a appris à son retour de France, réalité ou ragot, le conforte dans cette opinion. En effet, durant l'escapade parisienne de son fiancé, Sophie en plein désarroi n'aurait pas été insensible aux charmes d'un jeune photographe, Edgard Hanfstängl. L'occasion de sortir de l'impasse en préservant les apparences de chacun est une opportunité inespérée.

Le 7 octobre, Louis II écrit à sa fiancée une lettre de rupture quasiment administrative dans laquelle il lui propose de convenir d'un délai d'un an au terme duquel, s'ils sont encore libres, le projet de mariage serait relancé. La clause demeurera sans effet puisque trois cent cinquante-cinq jours plus tard, Sophie épousera le duc d'Alençon, petit-fils de l'ancien roi des Français Louis-Philippe. Vienne, la Cour qui avait déjà peu goûté la tiédeur des Bavarois lors de la guerre contre la Prusse s'indigne de l'attitude de Louis II vis-à-vis de la sœur de l'impératrice Élisabeth qui est la première à faire montre de son irritation. Néanmoins, le roi de Bavière a pour l'heure la sensation d'avoir recouvré la liberté tandis que s'éloigne la vision cauchemardesque du mariage.

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