La pièce que Molière a le plus jouée…
Une farce vive, rapide, qui va de rebondissements en rebondissements

En 1666, Molière triomphe comme auteur, comédien et chef de troupe du roi. Mais il est aussi l’objet de nombreuses critiques lorsqu’il fait représenter Le Médecin malgré lui.

Considéré jusque-là comme un simple amuseur, il s’est lancé depuis quelques années dans un genre intermédiaire, à la frontière du tragique, où la peinture de caractères s’enrichit d’une réflexion sur l’hypocrisie dans les comportements individuels et les institutions sociales, ce qui lui vaut de violentes critiques. Le Tartuffe, où l’on voit un faux dévot s’établir dans une famille qu’il tente de dilapider, a été interdit. Le personnage de Dom Juan qui, dans sa quête du plaisir et de la liberté, tient tête jusqu’au bout à la menace chrétienne de l’Enfer, et qui finit par prendre le masque du dévot pour que la société le laisse tranquille, relance le scandale. Deux mois avant Le Médecin malgré lui, Molière subit un échec avec Le Misanthrope : Alceste y apparaît en révolté, qui condamne l’hypocrisie d’une société fondée sur le mensonge.

On considère généralement que Le Médecin malgré lui, écrit juste après Le Misanthrope, marque un retour au gros rire destiné à plaire et à accroître les recettes. De fait, cette pièce est une de celles que Molière a reprises le plus souvent (59 fois), ce qui témoigne de son succès.


Molière retrouve avec cette farce le personnage de Sganarelle, qu'il a toujours interprété, et déjà présent dans cinq pièces écrites de 1660 à 1666 : Sganarelle ou Le Cocu imaginaire, L'École des maris, Le Mariage forcé, Dom Juan, L'Amour médecin. Incarnation suprême et dernière, le Sganarelle du Médecin malgré lui était en fait apparu pour la première fois dans une farce datant de la période de l'Illustre Théâtre : Le Médecin volant, où il était déjà un médecin rusé et joyeux. Ainsi, le dernier Sganarelle rejoint le premier. Un lien unit donc le personnage à l'habit de médecin, qu'il endossait rapidement dans Dom Juan, et qu'il assume triomphalement dans le Médecin malgré lui. Cette pièce appartient en effet à !a lignée des comédies de Molière qui proposent une satire de la médecine, jusqu'à la dernière, Le Malade imaginaire, où le vieil Argan vit entre purges et lavements, victime de M. Fleurant l'apothicaire, de M. Purgon, et surtout de Diafoirus père et fils, médecins imbéciles et ignorants. La figure du médecin est d'ailleurs une très vieille source comique, comme l'atteste, au Moyen Âge, le fabliau du Vilain Mire, dont s'inspire ici Molière. Il faut dire que le médecin-apothicaire, avec ses allures de sorcier, est aussi un bonimenteur, dont le bagout était bien connu des habitants de Paris. Molière enfant y fut sans doute sensible lorsqu'il accompagnait son grand-père au Pont-Neuf. Car Sganarelle est surtout, dans Le Médecin malgré lui, l'emblème du comédien qui, par ses prouesses et ses voltiges, fait triompher l'amour et la comédie. Le spectateur, loin de le condamner, est ébloui par ses facéties verbales qui lui permettent de saper l'autorité d'un vieillard tyrannique, tandis qu'il sème le désordre et la gaieté dans un univers familial triste, fondé sur le respect et l'obéissance au père et au maître tout-puissant. Ainsi, Sganarelle obéit bien au sens étymologique de son nom. Le verbe italien sgannare signifie, « désabuser », « détromper » : Sganarelle, grâce à son déguisement, révèle au spectateur l'hypocrisie d'une société. La farce, sans quitter pour autant le registre comique, permet au public d'en prendre conscience.

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