Hervé Guerrisi jongle avec les mots et l’imaginaire.

Avec un imaginaire explosif, Hervé Guerrisi, seul en scène, jongle avec une trentaine de personnages. Ses qualités de pantomime, ses mimiques hilarantes et son enthousiasme débordant émerveillent. Une véritable performance d’acteur !


Mots clés : rigueur, passion et enthousiasme
CES DERNIERS TEMPS, J’AI EU L’OCCASION DE TE VOIR À PLUSIEURS REPRISES DANS DIFFÉRENTS REGISTRES ET J’AIMERAIS TE FAIRE CONNAÎTRE AUX LECTEURS DE COMEDIEN.BE.
JE T’AI VU DANS UN ONE-MAN-SHOW : HISTOIRE DU TIGRE ET AUTRES HISTOIRES DE DARIO FO, DANS UN SPECTACLE DE CHANSONS IMPROVISÉES DES MOTS, DES NOTES, JE T’AI VU COMME JOUTEUR À LA LIGUE D’IMPRO ET MAINTENANT DANS LE RÔLE DE BOYET DANS PEINES D’AMOUR PERDUES DE SHAKESPEARE… CHAQUE FOIS TU M’ÉPATES PAR TON TALENT. MARIONNETTISTE POUR TOONE, TU PARS EN TOURNÉE À LYON… À PEINE NOUVELLE RECRUE À LA LIGUE D’IMPRO, ON T’ENVOIE DÉFENDRE LES COULEURS DE LA BELGIQUE AU QUÉBEC… EN PLUS J’APPRENDS QUE TU DONNES COURS À L’ACADÉMIE D’ANDERLECHT… QUE TU AS CRÉÉ LA COMPAGNIE DEZIR AVEC STÉPHANIE BLANCHOUD, TU ES AUSSI GUITARISTE, SAXOPHONISTE… JOLI PARCOURS !

Interview : Comment tout cela a-t-il commencé ? Qu’est-ce qui t’a motivé ?
Ça a commencé quand j’avais 9 ans, mes parents m’ont inscrit à un casting : on cherchait des enfants pour une comédie musicale Mon P’tit Loup et j’en ai fait partie pendant 2 ans. Ce spectacle a tourné en Belgique. Il y avait des cours d’interprétation, des cours de chant, des cours de danse dans tous les sens : classique, contemporaine – la totale ! Évidemment, quand on commence à 9 ans, soit on a un rejet total, soit quand on y a touché, on a une super grande envie de continuer la scène - ce qui fut mon cas -.

Interview : Est-ce toi ou tes parents qui ont eu cette idée ?
J’étais une grande gueule, un vrai petit caïd, alors les parents se disent ˝Ah, il parle fort, il fait son cinéma, on va l’inscrire au théâtre„. Et pour moi, enfant turbulent, ça a surtout permis de canaliser mes énergies : aux cours de théâtre ou de danse, j’étais vraiment studieux. Par la suite, au Conservatoire [1], il y a beaucoup de rencontres qui se font. Cela m’a permis de tisser des liens, notamment avec Stéphanie Blanchoud avec qui j’ai créé la Compagnie DéZir. Cela part de l’envie très forte de continuer le chemin après le Conservatoire – qui après tout n’est qu’un tremplin… Après on doit voler de ses propres ailes et surtout trouver ses armes et les différentes cordes de son arc. Donc voilà, on les a multipliées, avec Stéphanie via la chanson, et en ce qui me concerne via la musique. Et puis on a aussi joué ensemble au théâtre. On essaye de multiplier les choses, surtout de ne pas attendre qu’on vienne nous chercher, foncer dedans parce qu’on a des choses à dire et qu’on a eu la chance au Conservatoire d’avoir les moyens techniques de dire ces choses : Qu’est-ce que j’ai envie de dire à mon âge ? Quel est le message que j’ai envie d’apporter avec les moyens qui me sont donnés ? Voilà les vraies questions…

Interview : Pour revenir au cours d’art dramatique que tu donnes à l’Académie d’Anderlecht, depuis 3 ans, qu’attends-tu de tes élèves ? Quel est ton rapport avec eux ? Quels sont les conseils que tu leur donnes ?
C’est d’aller au théâtre, au cinéma aussi ! D’aller voir un maximum de choses, parce que souvent ils viennent avec une idée du théâtre qui est complètement fausse, en tout cas fausse par rapport à tous les autres types de théâtre qui peuvent exister. Ils ont souvent une idée très académique, très classique. Donc je les encourage à aller voir d’autres choses. Par la suite, par rapport au cours même, j’essaye de mettre est essentiellement l’accent sur l’écoute. Sur le fait d’être disponible aussi bien par rapport à ce que je leur demande que par rapport à ce que leur partenaire envoie ou reçoit. Et ce que j’attends d’eux ? Ben, rien vraiment… Par contre, sans attendre quoi que ce soit d’eux, ils m’apportent beaucoup…

Interview : Tu peux donner un exemple ?
Par exemple, quand je demande à un élève d’être plus rigoureux par rapport au texte, et que je vois que, la semaine suivante, il arrive avec un texte au rasoir, etc., je me dis : ˝Ah oui, je ferais peut-être bien ça aussi moi„. Ce que je leur demande, c’est ce que je dois exiger de moi dans le boulot, et c’est pour cela que j’essaye toujours de mettre en corrélation les disciplines ou les auteurs que je découvre dans le milieu professionnel, avec l’enseignement. Par exemple, là je découvre tout ce qui est l’univers de la Commedia, donc j’ai décidé de travailler Goldoni avec eux, et de voir ce qu’il en a fait, parce que c’est un des premiers qui a retranscrit. Donc on a des outils très clairs. Et cela nourrit aussi ma recherche : on est dans un processus d’échange permanent.

Interview : Quelle différence fais-tu entre un one-man-show et une grosse production avec 17 comédiens comme Peines d’Amour Perdues ?
Par rapport au travail même de recherche et de rigueur, il n’y a pas de différence. J’essaye – je dis bien j’essaye – d’être autant impliqué dans une création personnelle que dans une création à 17 dans laquelle j’ai peut-être moins de responsabilités. Par rapport au travail du comédien, je crois qu’il est le même. On a souvent le réflexe quand on reçoit une brochure d’une pièce dans laquelle il y a 17 rôles, de foncer pour voir ce que mon personnage dit, s’il y a eu des coupures ? (mon Dieu, j’espère qu’il n’a pas été trop coupé !) Ça commence peut-être par là. Et puis, il y a le Pourquoi je me tais ? C’est ce que je découvre avec Peines d’Amour Perdues. Je réfléchis non seulement à pourquoi mon personnage dit ça, pourquoi il prend la parole, mais aussi à tous ces moments où il est là et où il ne dit rien. Pourquoi je me tais, pourquoi je décide de ne pas l’ouvrir, de rester en observation de laisser ceux qui parlent rester les protagonistes ?… et ça, c’est un boulot plus particulier avec une création avec 17 comédiens, car forcément, il y a plus souvent d’occasions de se taire. Peut-être que quand je suis seul en scène, je mets beaucoup plus l’accent sur l’écoute du public. Peut-être ? Parce qu’il est mon seul partenaire. Quand on est 17, il y en a 16 à gérer, plus un énorme qui est le public. Maintenant, je cherche à répondre à ta question, mais ce n’est pas du béton... ?

Interview : Comment et pourquoi avoir commencé l’improvisation ?
Qu’est-ce que ça t’a apporté ensuite ? Quand j’étais à l’école, on faisait des sorties de classe et on allait voir des matches au Mirano. Cela m’impressionnait beaucoup. Comme dans un coin de ma tête je savais déjà que plus tard j’avais envie d’être comédien, j’étais d’autant plus impressionné par la virtuosité de ceux que je voyais : c’étaient des grands noms, des espèces de stars dont on se souviendra pendant bien des années. Et puis, en dernière année au Conservatoire, on a fait un examen public au Théâtre National et Victor Scheffer est venu nous voir et a pris le nom de certains en nous demandant si on voulait faire un stage d’entrée mais aussi de recrutement. Évidemment j’ai dit oui, parce qu’en début de carrière, il ne faut pas refuser ce genre d’opportunités. J’estime qu’il faut y aller et découvrir par soi-même… Parce que c’est une discipline dont on nous a dit plein de choses, souvent négatives du genre La Ligue c’est dangereux parce que ce n’est que des bagarres, que du match, etc. Mais des côtés positifs on n’en parlait pas du tout. Et il y en a tellement. Donc, j’ai été faire ce stage d’entrée en septembre 2004 : 3 jours à l’Espace Catastrophe et c’était très gai. Déjà, c’était une manière de rencontrer ceux qui étaient sortis la même année, mais dans toutes les écoles : Ah tiens, les voilà, ceux de la promotion 2004… il y a Liège, l’IAD, l’INSAS, Mons, Bruxelles… Et c’est comique parce qu’on ne le connaissait pas avant… Et puis voilà, j’ai été choisi pour intégrer l’équipe de Jean-Marc [2]. Et j’ai appris énormément. Déjà je me suis beaucoup amusé, parce que ça reste un jeu, et un jeu très drôle, très gai à faire… Et en termes d’acteur - on parlait d’écoute tout à l’heure - pour moi l’impro, c’est un training d’acteur phénoménal : ça permet de gérer une histoire de A à Z, de savoir quelle est sa place, quelle est la place qu’on a dans une histoire… On parlait de l’intégration d’une équipe de 17 comédiens, voilà : il faut être conscient du tout et pas seulement du petit point qu’on est dans la masse. Il faut être à l’écoute en permanence et donc les entraînements poussent à ça. C’est une découverte géniale, d’une ouverture totale à ce qu’on raconte. Ça permet de lâcher tout son imaginaire, de ne pas censurer ou en tout cas de cadrer son imaginaire et de l’offrir. Et ça permet aussi de rencontrer des gens passionnés. C’est un bonheur, vraiment c’est un bonheur. Donc quand à la fin de la saison Jean-Marc m’a dit ˝Allez viens, on va au Québec„ (gros éclat de rire) Alors là, je n’en revenais pas ! Évidemment j’ai dit oui, évidemment je n’allais pas dire non, mais attends, qu’est-ce que c’est que ce truc, c’est le Mondial [3], ça fait peur ! Alors là, on arrive dans le pays de l’impro, tout le monde connaît l’impro, ils sont nés dedans : il y a la télévision, le grand show à l’Américaine… Enfin c’était une expérience inoubliable dans laquelle j’ai appris encore… Je crois qu’en 4 matches que j’ai fait au Québec, j’ai appris … oui … un dictionnaire. C’était énorme. J’ai appris en les observant, car je m’estimais encore incapable de rivaliser ou de jouer sur le même terrain que les Québécois. C’est vraiment hallucinant. Donc j’étais spectateur. J’ai vécu 10 jours là-bas sublimes !

Pourquoi avoir créé une compagnie ?
J’ai l’impression que dès qu’on est 2 ou 3, on forme une compagnie, qu’on est noyé sous les compagnies. Dans un premier temps, c’est quelque chose qui va nous obliger à aller de l’avant. J’ai besoin d’avoir un ultimatum. Ça nous entraîne dans une dynamique créatrice. Ça nous maintient en éveil par rapport à cette question qui est toujours : Qu’est-ce qu’on veut dire ? Ça fait partie des outils qui nous sont donnés pour pouvoir dire des choses. Évidemment, il y a aussi un atout administratif : le fait de passer par une 10 compagnie facilite toute la paperasserie, les contrats, les finances, etc. Et puis, on est en quelque sorte protégé par le fait que tout passe par l’asbl (la compagnie). Même si ce n’est qu’une façade, ça a un côté rassurant. Ça permet par exemple de réinjecter dans l’asbl une partie de ce qu’elle gagne pour financer une attachée de presse, une promo ou une affiche. Quant au côté artistique - je parlais des différentes cordes à nos arcs - une compagnie permet de rassembler tout ça. Il y a Stéphanie qui perce dans la chanson, qui écrit beaucoup pour le théâtre et pour la chanson, moi qui l’accompagnais au saxophone pendant tout un temps et puis qui maintenant ai ma propre création : Histoire du Tigre. Toutes ces créations-là sont rassemblées autour d’un même nom qui devient porteur.

Quel appui reçoit-on de Marion en tant que compagnie ?
Marion fait « salon » au XXIème siècle comme ça se faisait au XVIIème : elle a ses fidèles habitués et elle leur propose son petit marché théâtral. Il y a un réel échange avec ses spectateurs… Et en tant que compagnie, on a la chance de faire partie de sa programmation et de jouer devant un public qu’on n’aurait pas pu rencontrer autrement. Et puis, elle nous donne simplement la chance de jouer et c’est ce qu’on demande. Elle nous donne un lieu génial, avec un technicien. Elle est là pour nous soutenir et on sent qu’elle est derrière les jeunes compagnies qu’elle va chercher. Elle va voir des petites créations, elle va à la Soupape, elle va à la Samaritaine, elle va partout... Des responsables de programmation, moi, dans des tout petits lieux comme ça, j’en ai rarement vus. Elle est des premières heures d’une compagnie et elle peut se targuer d’avoir lancé plus d’un sur le marché de l’emploi, avec un grand M. D’ailleurs toutes ces personnes, Michel à la Soupape, Huguette à la Samaritaine et Marion au Botanique sont vraiment très précieuses pour la jeune création parce qu’ils y croient. Ils viennent nous chercher dans de petits lieux pour nous dire Allez hop, un petit coup de pouce, un petit tremplin… C’est merveilleux ! Moi si je n’avais pas créé l’Histoire du tigre, à la Soupape je ne serais pas à Chénée… C’est vraiment le début de la boule de neige.

Parle-nous de tes projets ?
Tout part toujours de cette même interrogation : Je suis sorti en 2004 avec un premier prix et aussi une licence, (et il faut mettre des guillemets à licence parce que ça ne veut pas encore dire grand-chose sur le marché de l’emploi)… et maintenant qu’est-ce que j’ai envie de dire ? Alors, en travaillant avec Daniela Bisconti au Conservatoire, j’ai eu la chance de découvrir Dario Fo et cela avait résonné en moi. Peut-être à cause de mon sang italien ou de mes origines d’immigré. Finalement, je suis de la 3ème génération, petit-fils de mineur italien ; ça fait un peu misérabiliste, mais c’est vrai. Donc, j’ai un peu fouillé dans cet univers de Dario Fo. Je me suis documenté : Internet, les livres, les traductions, les pas traductions, sa biographie, l’ouvrage théorique qu’il a écrit et chaque fois ça résonnait de manière positive. Au fil du temps, il est devenu une espèce de mentor, pour le moment incontesté et incontestable et je le défendrai toujours pour le moment (et je dis bien pour le moment, parce que c’est une recherche qui doit suivre son cours). J’ai découvert l’Histoire du Tigre, une de ses plus célèbres jongleries, comme il appelle ça, dans laquelle il parle de ce soldat chinois qui faisait partie de la « longue marche », une histoire qu’il a entendu raconter en Chine. Et nouveau coup de foudre, je me suis dit ˝on y va„. Maintenant j’ai envie de dire ce que cet homme dit, non seulement théâtralement, mais aussi ce qu’il dit, le message qu’il veut faire passer à travers cette conférence théâtrale : ˝Voilà, j’ai fait un travail sur les jongleries du Moyen-Âge, 11 je vous le transmets et je vous le joue„. Il y a un côté ludique, mais aussi un côté didactique, pédagogique : Dario Fo transmet des choses. J’ai eu envie de les transmettre à mon tour. Et j’ai ajouté d’autres histoires, tout simplement par plaisir d’acteur, car j’avais fort envie de jouer La Résurrection de Lazare, un morceau assez court dans lequel j’ai pris un pied dingue parce qu’il y a 13 personnages qui parlent tous en même temps et c’est très chouette à faire, car visuellement et techniquement il faut pouvoir les distinguer. Donc j’ai fait appel à Jean-Louis Danvoy, mon prof de formation corporelle au Conservatoire, un homme d’exception, plein d’humilité (une des valeurs les plus admirables dans le milieu). Je trouve cela tellement beau et touchant. Et cet homme est beau et touchant et en plus, il a un imaginaire magnifique. Je lui ai dit : J’ai peur d’un metteur en scène qui s’approprie le texte et dit ses mots à lui. ˝J’ai envie de dire tel quel ce que Dario Fo dit, je n’ai pas envie d’interpréter ou de réinterpréter ses termes„ et il a dit ˝d’accord„ et on a travaillé ensemble dès qu’on pouvait, parce qu’il est fort occupé avec son spectacle photos To See or Not To See qui tourne actuellement. Donc entre un voyage à Munich et un au Portugal, on travaillait ici ou à la Soupape sur ce spectacle que j’espère jouer encore longtemps, car il reflète bien les choses que je veux dire.

Tu m’as dit que tu allais rencontrer Dario Fo ?
Oui, je pars le 4 avril pour Milan. C’est mon amoureuse qui m’a poussé à le faire. Elle m’a dit : ˝écoute Hervé, cesse d’en parler, maintenant vas-y„ et ça a fait tilt : Alors Internet, Ryan Air, famille d’accueil à Milan et cours intensifs d’italien… et puis enfin découvrir vraiment la Commedia dell’Arte et le Piccolo Teatro chez Feruccio Soleri (encore toujours l’Arlequin dans Arlequin, Serviteur de Deux Maîtres dans la mise en scène originale de Giorgio Strehler.) Par ailleurs, Soleri donne cours au Piccolo. Le contact avec Dario Fo avait déjà été pris lors de la création du Tigre pour laquelle on l’avait invité… Il avait même pris la peine de répondre qu’il ne pourrait pas se libérer. Il faut dire qu’il préparait les élections municipales de janvier, car il s’était inscrit sur les listes à Milan. Entre parenthèses, il a quand même recueilli 30% des voix contre 60% à l’extrême droite, ce qui reste très inquiétant. Enfin, cette fois, j’espère bien le rencontrer !

Ciao Hervé… Grazie mille, Buon viaggio, e n’ bocca al lupo !
Interview : Nadine Pochez - Interview dans Comédiens.be le 15 mars 2006

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